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et au comte d’Houdetot de leur montrer ses Pêcheurs, « trouvant piquant de faire un tableau capital sans que personne autre que ses modèles ne le vît. » « J’ai mis de côté tous les devoirs de société, » écrivait-il alors à son ami Snell.

Entre toutes les familles illustres qu’il cultivait à Rome à de longs intervalles, s’en trouvait une née Française, et que les révolutions avaient exilée. Un mari et sa femme, beaucoup plus jeunes que Robert, la composaient avec une parente. C’était la princesse Charlotte Napoléon, fille de Joseph, comte de Survilliers, mariée à son cousin Napoléon, fils aîné de Louis, comte de Saint-Leu, et de la reine Hortense, — et leur parente, Mlle Juliette de Villeneuve, depuis épouse de son cousin M. Joachim Clary : — toutes personnes mortes aujourd’hui, à l’exception de ce dernier. Ces personnes non-seulement aimaient les arts, mais elles les pratiquaient elles-mêmes, de sorte qu’à peine eurent-elles connu Robert, il s’établit entre elles et lui un genre d’intimité où, d’une part, le culte du talent et la bienveillance, de l’autre, la timidité vaincue, l’amour-propre satisfait, et plus tard l’attrait de je ne sais quel sentiment inconnu, semblaient avoir fait disparaître les distances sociales. Certes. il faut une expérience du monde bien solide, une rectitude de jugement bien affermie chez les gens de lettres et les artistes, pour ne pas se laisser aller aux séductions de cette trompeuse égalité que les circonstances fondent sur le sable entre le talent et la puissance. Les plus habiles s’y laissent prendre, et, depuis le Tasse et Voltaire jusqu’à Léopold, la leçon du réveil a été terrible. Robert le sentait, et vainement lui disait-on que le talent est une dignité en France et qu’il égalise tous les rangs : le fils du pauvre artisan de la Chaux-de-Fonds se tenait sur une respectueuse réserve. Le monde supérieur qui brillait au-dessus de lui ne l’éblouissait point. Il n’avait pas non plus contre les inégalités sociales les révoltes intérieures d’une ame qui sent sa force, ou d’un orgueil blessé et jaloux : il s’était résigné sans murmures à la place que Dieu lui avait faite, et voulait y rester. Toutefois, subjugué par les attentions, par les prévenances de tout genre, par les charmes journaliers d’une conversation où il trouvait l’écho de ses opinions et de son cœur, il se livra au courant d’un bonheur d’autant plus vif que le sentiment qui l’y poussait avait plus d’innocence.

À cette époque, il avait sa Fornarine sonninèse qui n’avait fait qu’augmenter en lui le goût de la retraite ; mais, sans se rendre compte de la passion qui l’agitait et qui l’empêchait d’en feindre une autre, même fugitive, il renonça à sa liaison, et retomba tout entier sur lui-même, ne se permettant d’autre distraction que cette société où tant d’égards flatteurs l’attiraient. Un lien de plus vint l’enchaîner encore à cette famille qui ne semblait vouloir que de l’amitié : le prince Napoléon et la princesse Charlotte entreprirent avec lui, en commun, une suite de