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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/379

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quitter… Avant le malheur arrivé dans cette maison, l’année dernière, à cette époque, il y régnait plus de gaieté. Aujourd’hui, beaucoup la trouveraient triste. Pour moi, je la fréquentais toujours avec plaisir, parce que j’y trouvais des idées en rapport avec les miennes. Quant à des sentimens autres que ceux de l’estime et d’une vive amitié, je crois qu’ils n’existent pas. Ne serait-ce point, d’ailleurs, une grande folie à moi que de lâcher la bride à des sentimens toujours combattus par la raison, car enfin quelle illusion puis-je avoir ? Cher et excellent ami, je vous le répète encore, cette liaison ne peut que m’élever l’ame et me donner le désir de me maintenir dans le chemin de la vertu. Quel avantage n’y a-t-il pas dans ces relations qui donnent de l’intérêt à la vie et retrempent le cœur d’énergie ! Votre amitié n’a-t-elle pas ce mérite pour moi ? Vous avez bien voulu me distinguer : le bonheur que j’en éprouve ne doit-il pas toujours régler mes actions pour conserver votre affection qui m’honore ? Il en est de même des rapports intimes que l’on peut avoir dans la vie, quand la vertu en est la base. J’espère faire voir que mon art possède toujours mes pensées les plus continues. »

Le 3 avril 1833, ce ne sont plus des demi-confidences. Avant de les laisser échapper, il fait faire beaucoup de chemin à sa plume. Enfin il arrive, se réservant, comme Mme de Sévigné, pour le post-scriptum :

« Votre lettre m’a fait m’envisager bien coupable de ne pas avoir répondu plus tôt à celles qui l’ont précédée, et la raison que je vous ai donnée de mon retard à vous écrire me semble à présent trop faible pour le justifier. Je vous en demande donc pardon, et c’est un plaisir que j’ai, puisqu’il m’engage à me procurer celui d’être avec vous et de causer avec un ami qui m’est si cher. J’ai été enchanté d’apprendre d’aussi bonnes nouvelles de toute votre famille, et votre infatigable ardeur pour réorganiser votre administration m’assure de votre bonne santé. J’en jouis ; mais pourtant j’aimerais bien à apprendre que vos occupations sont moins grandes, et il me semble qu’elles doivent vous fatiguer beaucoup. Quand je me représente cette activité si soutenue, je trouve que la mienne pour mon travail est bien peu de chose, et j’en ai honte. Et c’est vous cependant qui m’engagez à prendre du repos, vous qui devez en avoir un si grand besoin ! Et c’est encore vous, dont les heures sont si comptées, qui me faites parvenir de si bonnes lettres ! C’est vous dont les conseils et les observations me font réfléchir et me disposent davantage à me défier d’un caractère qui peut trop être conduit par une imagination inquiète et peu sage ! Soyez sûr que mon cœur les recueille, ces conseils de l’amitié la plus excellente, et qu’il en éprouve une tranquillité qui lui donne plus de force. Vous aurez vu par ma dernière que je continue d’être favorisé d’une très bonne santé qui m’a été et m’est d’un grand avantage. Vous y aurez aperçu de nouveau un sentiment de satisfaction qui est ami de l’existence,