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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/434

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à donner à entendre que la force des circonstances et les dispositions avouées de ses voisins du Nord, plus que sa volonté personnelle, le faisaient se résigner et supporter les conséquences des événemens survenus en France. Il voulait établir que sa tolérance tenait surtout à son impuissance. De peur qu’on n’en doutât, il prit soin de supprimer d’une manière blessante pour le roi Louis-Philippe les formes du protocole officiel. Il poussa le dépit jusqu’à interrompre les communications gracieuses et de pure étiquette que les chefs de maisons souveraines s’adressent les uns aux autres à l’occasion de leurs événemens de famille. Le cabinet français affecta d’abord de ne pas paraître attacher à ces symptômes de mauvaise humeur plus d’importance qu’ils n’en méritaient ; mais, quand il lui fut démontré que ces manifestations faisaient décidément partie de la politique de l’empereur de Russie, il comprit la nécessité de les ressentir et d’y répondre. Alors commença entre les deux cours une guerre de représailles diplomatiques assez fâcheuse. Notre gouvernement ne l’avait pas provoquée, il ne pouvait la fuir. Le czar seul paraissait s’y complaire, et cependant elle ne tournait pas toujours à son avantage. Devant le corps diplomatique, témoin attentif de ces curieuses scènes, en présence de sa cour, qui avait, il est vrai, l’ordre de ne point voir et de ne pas se souvenir, il lui fallut, plus souvent qu’il n’aurait voulu, essuyer certains désagrémens assez pénibles pour sa fierté. Les exemples n’en sont point rares.

Dans les premières années qui suivirent la révolution de juillet, l’empereur, ayant reçu plusieurs fois l’ambassadeur de France en audience particulière et lui ayant, à maintes reprises, adressé la parole aux réceptions de cour, évita de lui demander, suivant l’usage, des nouvelles du roi des Français. Il fit plus : il se vanta de cette omission comme d’un oubli intentionnel. Cela fut su à Paris. En 1833, quand M. le maréchal Maison retourna à Saint-Pétersbourg, il reçut pour instructions, du ministre des affaires étrangères du cabinet du 11 octobre, de repartir dès le lendemain de sa première visite officielle, si l’empereur n’avait pas renoncé à son impolitesse calculée et ne s’était pas conformé aux usages reçus. De crainte de surprise, et pour qu’on sût à Saint-Pétersbourg à quoi s’en tenir, le maréchal avait dû, avant son départ de Paris, aller trouver M. Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie, et l’informer, comme de lui-même, de la teneur de ses instructions. Avec cette même ouverture militaire franche et rude qu’il avait, dans des circonstances analogues, montrée à Vienne, notre ambassadeur ne dissimula point au milieu du monde diplomatique de Saint-Pétersbourg les ordres dont il était porteur, et sa ferme intention de s’y conformer rigoureusement. Ceux qui assistèrent à la première réception du représentant de la France remarquèrent avec quelle netteté d’expressions et quelle abondance de paroles le czar s’informa des