Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/438

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapproché les deux souverains, parce qu’ils avaient eu la sagesse d’oublier eux-mêmes les anciens griefs, et réussi, à force de mutuels et honorables ménagemens, à concilier, au jour le jour, les intérêts divers et les susceptibilités surexcitées des deux nations. A quoi sert de le nier ? le succès ne fut point complet, la réconciliation fut plus apparente que réelle ; le charme avait été définitivement rompu pour nous par le traité du 15 juillet, avant qu’il le fût pour les Anglais par la négociation des mariages espagnols. Cette rupture ne devait pas être et en réalité ne fut pas tout-à-fait inattendue pour les hommes doués de quelque expérience politique, et qui avaient pris la peine de suivre d’un peu près, depuis 1830, la marche de la diplomatie britannique.

Après la révolution de 1830, l’alliance de l’Angleterre et de la France a été mieux qu’une profonde combinaison politique. Personne n’a le droit de s’en attribuer l’honneur exclusif ; elle a été le cri instinctif et généreux des populations. La mémoire des récentes discordes ne nous rend pas injuste, et ce n’est pas sans émotion que nous nous rappelons l’élan avec lequel pays et gouvernemens oublièrent à cette heureuse époque leurs vieilles querelles, comme si elles ne devaient jamais renaître, et se jetèrent ensemble dans l’avenir avec une confiance sans doute excessive. Pareils entraînemens ne sauraient durer, mais ils honorent les nations qui les éprouvent et qui s’y abandonnent. La révolution de juillet, nous en fûmes nous-même témoin, causa en Angleterre, dans toutes les classes, une impression extraordinaire. Sans doute, les chefs des tories, des whigs et des radicaux furent surtout frappés des chances nouvelles qu’un si grand événement ne pouvait manquer d’ouvrir à la fortune des partis. Les masses furent plus désintéressées dans leur appréciation. Elles saluèrent sans arrière-pensée le mouvement populaire qui leur rappelait leur révolution nationale de 1688, berceau de la dynastie régnante. Chez nous, c’était même ardeur et une égale sympathie pour ce peuple anglais qui avait combattu si vaillamment pour le maintien de ses libertés, dont les annales étaient comme un livre prophétique ouvert sous nos yeux, où nous pouvions à l’avance lire nos destinées. Les acclamations des deux nations scellèrent l’accord des deux gouvernemens. Par leurs applaudissemens enthousiastes, mais sensés, les multitudes ratifiaient des deux côtés du détroit l’œuvre calculée des politiques habiles. C’est qu’en effet l’accord de l’Angleterre et de la France porte des fruits que ne produira jamais aucune alliance. Il assure le maintien de la paix, il favorise plus que toute autre combinaison le développement régulier des institutions libérales.

On s’est souvent demandé ce qui valait mieux pour la durée de cette heureuse alliance d’un ministère whig ou d’un cabinet tory à Londres.