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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/457

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leurs banquiers particuliers ; il peut être réclamé par eux à toute heure, et il le sera certainement un jour si quelque grande occasion de placement vient à s’offrir. Alors il faudra le rappeler de plus loin, et on peut concevoir avec quels embarras. Ainsi, cette exportation, qui, faite dans d’autres conditions, serait une source de grands avantages, devient ici l’occasion d’un grand péril.

Quoi qu’il en soit, on voit bien que l’écoulement de ce numéraire au dehors ne change rien à la situation, en ce sens qu’il ne diminue pas la somme des placemens à faire. Si les capitalistes n’ont pas effectivement ce numéraire entre leurs mains, ils sont toujours censés l’avoir, soit dans les caves de la banque, où ils peuvent le reprendre à volonté, soit dans les caisses de leurs banquiers, d’où ils peuvent le retirer également à très courts termes. Ils n’en sont donc pour cela ni moins embarrassés ni moins pressans. Ainsi, loin que l’émigration du numéraire ait corrigé en cela le trop plein qui se faisait sentir, elle n’a fait qu’y ajouter un danger de plus. Il y a un moment, en effet, où l’engorgement des capitaux devient tel sur la place, qu’il faut bien qu’on leur trouve un emploi à tout prix. Les détenteurs ne peuvent pas se résigner éternellement à n’en toucher aucun intérêt, ou à ne percevoir, au moyen d’un placement éventuel et précaire, que des intérêts dérisoires de 2 et demi à 3 pour 100. Ils appellent donc à grands cris ces débouchés qu’ils ne trouvent pas. Alors, c’est tout simple, les faiseurs de projets leur viennent en aide, et le génie de la spéculation s’éveille.

On a coutume de se récrier bien fort en pareil cas, et contre les inventeurs de projets, et contre ceux qu’on appelle leurs dupes. Comme de raison, les directeurs de la banque sont toujours les premiers à donner l’exemple de ce tolle général. De bonne foi cependant, si le tableau que je viens de tracer est exact, un tel état de choses peut-il se prolonger sans terme, en s’aggravant toujours ? La banque ne demanderait pas mieux sans doute, elle dont les bénéfices s’accroissent sans cesse et qui fait, pour ainsi dire, argent de tout ; mais il n’en saurait être de même de ceux qu’elle déshérite. Et quant aux spéculateurs dont les capitalistes suivent la fortune, sont-ils donc si coupables eux-mêmes de céder à tant d’invitations pressantes qu’on leur adresse ? On imagine donc des plans gigantesques pour ouvrir de larges débouchés à tous ces fonds inoccupés. Le premier venu donne le branle, et tout le reste suit. De toutes parts, de grandes entreprises sont projetées, tantôt pour l’exploitation de mines de houille, tantôt pour la construction d’un vaste réseau de chemins de fer, quelquefois pour le défrichement de terres incultes, ou bien encore, si c’est en Angleterre que la scène se passe, pour l’exploitation en grand des mines d’or ou d’argent du Nouveau-Monde. Tous ces projets sont accueillis avec transport.