Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désordre. Toutes ces mesures ne paraissant pourtant pas devoir suffire encore, on en vint enfin à un parti plus décisif. On se résigna à demander au commerce quelques sacrifices passagers (ce sont les termes du rapport), et le taux de l’escompte fut brusquement porté de 4 à 5 pour 100. C’était, en effet, au commerce qu’il appartenait en fin de compte de réparer à ses dépens les fautes que la Banque avait commises : heureux encore s’il en avait été quitte pour un exhaussement momentané du taux de l’escompte, et si le discrédit général, conséquence naturelle de tous ces embarras flagrans, ne lui avait pas porté de bien plus graves atteintes

Malgré tous ces expédiens et tous ces sacrifices, la crise n’était pourtant pas à son dernier terme. Comme les directeurs de la Banque l’avaient prévu, le retrait des espèces ne s’arrêta pas à la fin de l’année 1846 ce n’est même que dans les premiers mois de 1847 que le mal apparut dans toute sa gravité. Pour y parer, il fallut redoubler les mesures de prévoyance et aviser à de nouveaux expédieras. Aussi eut-on lieu de s’applaudir lorsqu’au commencement de mars, par un hasard tout providentiel, l’empereur de Russie fit acheter à la Banque 50 millions de rentes, dont assurément, dans la position critique où se trouvait la place, elle n’aurait pu se défaire à Paris sans y produire un nouvel ébranlement. Était-ce assez d’expédiens ? Pour sauver la situation, il ne fallut donc pas moins que l’appui de deux gouvernemens et celui des capitalistes anglais, sans lequel la Banque de France, malgré la brillante position dont elle se flattait naguère, n’eût peut-être pas échappé dès-lors à une suspension complète de ses paiemens.

Enfin, la dépréciation extraordinaire de toutes les valeurs négociables et de la plupart des marchandises ayant ramené les espèces qui avaient pris leur cours au dehors, la crise perdit peu à peu de son intensité, non pourtant sans que le commerce eût éprouvé, par la difficulté des crédits, par l’exhaussement de l’intérêt, et surtout par la dépréciation de toutes les valeurs dont il était en possession, d’incalculables pertes. Dans cette même année 1846, où la Banque a réalisé de si beaux bénéfices, les faillites ont été nombreuses dans le commerce, et la coïncidence de ces deux faits n’a rien qui doive surprendre après ce qu’on a vu plus haut. A Paris seulement, on a compté, du 1er août 1846 au 31 juillet 1847, 1,139 faillites, avec un passif total de 68,474,803 francs. On pense bien, d’ailleurs, que le chiffre déjà si considérable de ce passif ne représente encore qu’une faible partie du dommage souffert.

Telles sont les conséquences du privilège dans toute leur vérité. Qu’on ne dise pas que la crise doit être attribuée à d’autres causes, par exemple, à l’emportement de la spéculation sur les actions de chemins de fer. Sans doute, c’est là la cause immédiate ; mais cet excès de la spéculation, n’est-ce pas le privilège de la Banque qui l’a provoqué, en