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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/503

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vaient pas perdu pied dans la bourrasque. Le péril écarté, il ne demeurait plus sur le chantier qu’une édition nouvelle du livre immortel de 89, une édition plus ou moins correcte : à quand la prochaine ?

La constitution de la république est finie : quand nomme-t-on le président ? La grosse question est là ; c’est là l’important, l’essentiel, tout le reste n’est rien que bagatelle, bagatelle, de la porte. Mais entendons-nous, il s’agit d’une constitution républicaine, d’une république dite démocratique par 777 suffrages sur 777 votans, d’une démocratie dont M. Dupin lui-même a voulu constater l’avènement triomphal ; la démocratie coule à pleins bords ! Soit, soit, nous avons d’autres affaires : dites-nous plutôt qui sera président ? Nous sommes tous investis maintenant des fonctions politiques ; la presse affranchie, les clubs, les associations, le vote universel, nous avons entre les mains autant et plus que nous avons besoin pour jouer notre métier de citoyens actifs ; nous sommes enfin appelés à nous gouverner nous-mêmes : cherchons vite qui nous gouvernerait bien sans que nous nous en mêlions. Qui donc sera président ? Eh ! qui, bon Dieu ! pourrait l’être, l’an premier de la république reconquise, si ce n’est un Bonaparte ? O peuple ! qui étais, disait-on, trop républicain pour soutenir la monarchie, ne serais-tu point aussi, par hasard, trop monarchiste pour soutenir la république, et, dans cette perpétuelle oscillation de tes volontés, est-ce qu’il n’y aurait peut-être pas au fond l’impuissance croissante de te soutenir toi-même ?

Les morts vont vite, dit la ballade ; nous aussi nous allons vite en ce temps d’épuisement général, où les consciences n’ont rien en elles d’assez énergique pour les arrêter à temps sur une pente quelconque. L’ame de ce pays fut une grande ame ; aujourd’hui, si l’on osait ainsi parler, elle se sent presque vide : elle n’a plus ni d’idées assez fortes ni d’affections assez profondes pour la remplir et lui donner du moins un peu de gravité ; elle vole au premier vent et roule avec le tourbillon. L’autre semaine, le tourbillon semblait encore assez loin ; il y avait quelque espoir qu’on pourrait lui échapper en se raidissant : le tourbillon est arrivé sur nous, il nous emporte ; saluons la tempête et fermons les yeux, notre débilité ne connaît plus rien de mieux à faire. Décidément le prince Louis Napoléon sera le dépositaire des destinées de la France. S’il se porte candidat, c’est pure politesse ; il était né président.

Cette candidature, habilement couvée depuis six mois, vient enfin de faire explosion au sein même de l’assemblée nationale. Rendons-en grace au talent oratoire et à l’esprit d’à-propos des braves à trois poils du républicanisme de la veille. M. Dufaure, interpellé par M. Grandin sur les fermens cachés qui pouvaient inquiéter la sécurité publique, avait répondu par un discours incisif qui mettait les rieurs du côté de l’ordre. Il avait très spirituellement rassuré les princes de la maison de Bonaparte sur le mauvais usage auquel ils craignaient qu’on n’employât leur nom, et il n’avait pas voulu leur laisser le privilège exclusif de s’alarmer si bénévolement pour le compte du prochain. La bonhomie passablement perfide avec laquelle M. Dufaure s’étonnait de ces alarmes trop empressées avait été d’un heureux effet, lorsqu’une charge de grosse cavalerie exécutée par M. Clément Thomas a balayé d’emblée toutes ces finesses parlementaires. Celui-ci, sans doute, pourrait s’excuser en disant que toutes les finesses du monde