Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

farce, l’une plus pitoyable que l’autre ! Il n’est rien qui ravale les nations comme les péripéties sans grandeur, comme les escapades ridicules. L’Europe avait les yeux sur nous ; il nous était bien permis de ne pas lui dire notre secret, de lui cacher notre cœur, et de paraître du moins, en refaisant la chose à notre guise, avoir voulu ce que nous n’avions pu empêcher. Nous nous condamnions de la sorte à ne pas désirer dans l’avenir ce que nous regrettions dans le passé ; nous livrions cette bataille héroïque à nos aveugles adversaires ; nous prenions de leurs mains l’établissement fragile que nous imposait leur mauvais génie, et nous prouvions en l’améliorant, en le consolidant, qu’au-dessus des bizarreries et des misères de toute dissension civile, l’esprit et la volonté de l’homme ont encore une place qu’on ne leur ôte pas. Nous sauvions ainsi, vis-à-vis de l’Europe et de l’avenir, l’unité de notre histoire, la logique de nos destinées. Maintenant, avec un Bonaparte pour premier président de la seconde république, il n’y a plus à s’y tromper, nous tournons le dos à cet état définitif et normal auquel nous aspirions pour l’honneur de notre pays. Disons mieux, nous en avons, nous en tenons un autre : c’est la révolution en permanence, le hasard à l’ordre du jour, et non pas même le hasard tout seul, mais une fatale succession d’inévitables plagiats. Aujourd’hui l’an VIII, demain l’an X, après-demain l’an XII. Qui oserait affirmer que cela ne sera pas ? Nous recommençons ainsi nos vieilles équipées, avec la jeunesse de moins et l’ennui de plus.

En face de cette aventure, — comment l’appeler autrement ? — nous aurions tout sacrifié pour ne pas la courir, s’il nous avait été donné d’exercer une action plus haute, et c’est parce que cette aventure est inséparable du nom qui nous l’apporte que nous aurions repoussé ce nom-là. Nous écrivons ici en honnêtes gens désintéressés et libres ; nous exprimons toute notre pensée. Nous n’avons point voulu déclarer au prince Louis cette guerre brutale et facile que certains républicains de la veille ont engagée contre sa personne ; nous ne voulons pas dire davantage que c’est un jeune homme encore inconnu de la France. Le prince est un homme de quarante ans qui deux fois dans sa vie s’est laissé persuader qu’il suffisait, pour enlever la France, d’un complot de caserne. Nous détestons les factieux qui allument la guerre des rues en appelant à leur aide les passions politiques ou les haines sociales. Qu’est-ce donc que de vrais citoyens doivent penser du conspirateur qui essaie d’armer la force militaire contre l’ordre civil, et qui place son espoir dans l’orgueil de l’épaulette ou dans le fanatisme du caporal ? Nous disions tout à l’heure comment les nations se dégradent, nous pouvons dire aussi quand elles périssent : c’est quand le soldat dispose de l’empire.

Nous ne prétendons pas que la France en soit déjà là ; nous doutons même qu’il puisse y avoir dans la médiocrité de notre existence la sauvage grandeur qui caractérise cet excès de la corruption politique ; mais le mal n’est pas toujours tragique, il est quelquefois mesquin sans être moins pernicieux. Ce nom de Bonaparte est un nom de guerre, et nous sommes un peuple qui n’a de goût à rien qu’au fusil. Ce nom est un défi jeté à l’étranger, et nous, qui avons plus de vanité que d’orgueil, nous sommes toujours charmés de défier nos voisins. Ce nom, compris de la sorte par la foule qui le crie, met aussitôt celui qui s’en pare au-dessus des hommes éminens dont on affecte aujourd’hui de