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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/513

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au moment nécessaire l’éther ou son heureux rival le chloroforme, chacun s’en détourna pour chercher ailleurs du nouveau.

Le docteur Pirogoff s’est occupé de la question au point de vue théorique et pratique. De ses opérations nombreuses, de ses expériences multiples sur les animaux, il a cherché à déduire des conclusions générales sur le mode d’action, sur l’opportunité, les avantages et les inconvéniens de l’éthérisation. Enfin il a proposé, pour l’emploi de l’éther, une nouvelle méthode.

Comme la plupart de ses prédécesseurs, M. Pirogoff voit dans les phénomènes de l’éthérisation une ivresse, mais une ivresse d’une nature particulière. Certes, si l’on avait séparé comme essentiellement distinctes les unes des autres l’ivresse du vin, celle du cidre, celle de la bière, nous partagerions cet avis ; mais, à quelques nuances près, toutes les ivresses se ressemblent. Ce qui pour nous caractérise seulement celle que produit l’éther, c’est la rapidité avec laquelle elle se déclare et se dissipe. L’éthérisé devient insensible au couteau de l’opérateur tout simplement parce qu’il est ivre-mort. Cette opinion est, du reste, partagée aujourd’hui par bien des médecins, et fut embrassée, dès les premiers temps de la découverte, par diverses personnes qu’éclairait sur ce point une expérience acquise avec des liquides très différens de l’éther. Un jeune homme qui avait bien voulu se prêter à quelques essais, ressentant les premières impressions produites par la respiration des vapeurs assoupissantes, retrouvait là des sensations souvent éprouvées, et s’écriait : — Oh ! je connais cela. — Ici l’expérience du viveur, qu’on nous passe le mot, avait devancé la science des physiologistes, et les effets produits par le vin de Champagne avaient expliqué d’avance ceux de l’éther.

Comme tous les observateurs, M. Pirogoff a pu constater que l’éther est loin d’exercer une action toujours la même sur les individus soumis à cette influence. Tantôt l’effet de l’éthérisation a été directement assoupissant et accompagné de perte complète de la sensibilité, tantôt les mêmes phénomènes se sont montrés accompagnés des symptômes qui caractérisent une forte congestion du côté de la tête. Souvent l’assoupissement s’est montré avec un cortége de visions plus ou moins distinctes, qui pouvaient être assimilées d’ordinaire à de simples rêves, mais qui revêtaient quelquefois le caractère de véritables hallucinations. Dans ce dernier cas, l’éthérisé voyait ce qui se passait autour de lui, reconnaissait les personnes présentes, et néanmoins ne sentait que peu ou point les douleurs de l’opération, dont il rapportait les manœuvres à ses propres visions. Dans quelques cas même, l’intelligence et le raisonnement ont persisté dans leur intégrité, malgré l’abolition complète de la sensibilité. Le malade suivait alors les détails de l’opération exécutée sur lui, comme si elle eût été faite sur une autre personne. Dans bien des cas, l’assoupissement et la perte de sensibilité étant complets, l’éthérisé s’est livré à des mouvemens automatiques violens et dont il n’avait aucune conscience. Enfin un état plus étrange encore peut-être, et que M. Pirogoff a, nous croyons, observé le premier à la suite de l’éthérisation, est l’état cataleptique. L’insensibilité est alors complète, le sentiment et la conscience ont entièrement disparu, mais les jointures, au lieu d’être flasques comme elles le sont pendant le sommeil, semblent être faites d’une cire molle qu’on façonne à son gré et qui garde l’empreinte qu’on lui a donnée. On peut soulever les