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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/537

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une guerre d’indépendance contre la Russie ? Évidemment la Gallicie, Cracovie, Posen, réussiraient sans beaucoup de peine à s’affranchir du joug allemand ; mais pendant que l’Europe souffre et s’affaiblit, momentanément du moins, dans le douloureux enfantement de la démocratie, le czarisme, encore tranquille et puissant sur son terrain, laisserait-il la Pologne russe ouverte à la révolution polonaise, ou plutôt ne se croirait-il pas intéressé et autorisé à pénétrer sur le théâtre même de cette insurrection victorieuse pour étouffer à sa naissance l’incendie dont il aurait à craindre d’être prochainement dévoré ? La ruine immédiate de l’Autriche aurait donc pour conséquence de livrer la Gallicie et Cracovie à la discrétion des Russes. Supposera-t-on que les peuples du Danube et des Carpathes, les Bohêmes, les Valaques, les Illyriens, accourraient alors au secours de la Pologne écrasée ou menacée ? A peine la Hongrie, la Croatie, la Transylvanie et la Bohême auraient-elles échappé à la domination de l’Autriche, qu’elles se trouveraient engagées elles-mêmes dans une lutte terrible qui ensanglanterait le Danube, la Theiss et la Drave. Pendant qu’elles se déchireraient et s’épuiseraient entre elles, la Pologne, peu aimée de l’Allemagne, seule aux prises avec son redoutable ennemi, sans pouvoir compter même sur les bras désarmés des Polonais du royaume, pourrait-elle échapper à une ruine nouvelle ? Et à quoi lui servirait de s’être affranchie de l’Autriche, si ce n’est à être incorporée à la Russie ?

Il y a pour la Pologne allemande une politique moins périlleuse et plus patriotique : c’est d’entrer franchement et résolûment dans la confédération des peuples de l’Autriche régénérée. Des esprits subtils et raffinés pourraient bien ne pas goûter les vertus simples et rustiques des Illyriens. On devrait comprendre cependant que plus la simplicité dont on fait un crime aux Illyriens sera grande, plus la part sera belle pour l’influence éclairée de la Pologne. Il est facile aux Polonais, en embrassant cordialement l’intérêt slave, de relever honorablement leur drapeau abattu ; il leur est facile de jouer à côté des Illyriens un rôle décisif dans la régénération de l’Autriche, et, qui sait ? peut-être de la gouverner par l’autorité de leurs lumières dans les délibérations fraternelles des trois peuples slaves. S’il arrivait que les Illyriens, malgré leur expérience des institutions parlementaires très largement développées en Croatie, fussent privés de toute capacité administrative, ce serait donc un avantage de plus pour la Pologne ; ce serait principalement pour elle que Jellachich aurait combattu et brisé l’alliance germano-magyare. Les Polonais voudront-ils, après être entrés sur ce pied dans la confédération austro-slave, tenter un jour un nouvel effort contre la Russie ? Alors, du moins, ils le pourront entreprendre raisonnablement ; ils auront des armes et des alliés, ils auront la force constituée de la nouvelle Autriche, peut-être même l’appui de l’Allemagne. Au