Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la terre et ses produits est aussi naturellement inégale. Le même raisonnement, très simple, suffit à le démontrer. Encore ici nous demanderons si les facultés humaines, cette propriété primitive, base et racine de toutes les autres, sont également partagées entre les hommes. Chacun a-t-il reçu de Dieu le même degré d’étendue dans l’intelligence, de finesse dans le sentiment, de force dans la volonté ? Entrez dans une école de jeunes enfans, et je vais montrer tout de suite, parmi ces êtres qu’aucune leçon n’a encore modifiés, celui dont le regard brille d’un rayon intérieur, celui dont la lèvre finement contractée indique déjà la puissance de sentir et de souffrir, celui dont les membres vigoureux et souples se prêtent à tous les commandemens de la volonté ; je montrerai, à côté, l’être chétif, chagrin, hébété, qui ne comprend et qui ne rend rien. Rien n’est donc inégal au monde comme ces facultés primitives dont l’homme dispose, et qui lui servent comme son contingent pour s’associer avec la nature. Et la nature elle-même, offre-t-elle plus d’égalité ? Depuis les champs fertiles de la Sicile, qui portent deux moissons par an, jusqu’aux plaines arides des Landes, jetez les yeux autour de vous, y a-t-il deux terres qui, également cultivées, soient également productives ? Dans cette association originelle, fondement de la propriété, aucun des associés, ni l’homme ni la nature, ne se présente deux fois de suite avec des conditions égales. Dès-lors, comment y aurait-il égalité dans les effets, quand il y a inégalité dans les causes ?

Il semble qu’on peut arriver, par cette voie, d’une manière abstraite sans doute, mais frappante par sa rigueur même, à l’explication complète de l’établissement et de la nature du droit de propriété. On assiste ainsi au premier partage qui s’est opéré naturellement entre les hommes. C’est qu’en effet ils n’ont point été placés en face d’un trésor à diviser en plusieurs lots, comme des vainqueurs devant des dépouilles conquises, mais en face d’une terre ingrate et nue qu’ils devaient baigner de leur sueur, et dont il a fallu tirer, par le fer, ce qui y était déposé de forces productives et de richesses cachées. Chacun a pris de cette terre juste autant que ses facultés en ont pu couvrir. Sa propriété s’est étendue à la suite et dans la mesure de sa personne. Ainsi s’est formée cette seconde propriété de l’homme sur la terre, taillée à l’image et adaptée exactement aux proportions de cette propriété primitive que l’homme avait reçue sur lui-même. S’il y a justice quelque part, c’est dans une telle distribution. Il y a plus que justice, il y a un fait opéré de soi par un développement irrésistible de la nature. Si l’on nous reproche de résoudre par avance la question en la posant, si l’on nous dit que ces mots : partage, richesse, société, supposent la propriété, que toutes ces idées la rappellent, je ne dis pas le contraire ; mais qu’y faire ? Quand on arrive à un certain degré de profondeur et de vérité, les