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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/577

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vraiment non, il n’en a pas, et c’est précisément ce que j’admire. J’admire qu’une main savante ait tellement arrangé les choses, que nul ne puisse jouir de la richesse sans la répandre autour de soi. Sans contredit, il ne faut pas s’en tenir là, et ce n’est point assez, ni pour le devoir du riche, ni pour le bien-être du pauvre, de cette réaction naturelle. Et cependant cette diffusion involontaire de la richesse acquise, qui fait violence même à l’égoïsme, me touche plus que la générosité même. J’y reconnais, non la vertu imparfaite de l’homme, mais la volonté bienfaisante qui montre l’arc-en-ciel dans l’orage, et qui, en permettant que le malheur entoure l’homme dès sa naissance, ne souffre pas qu’il l’engloutisse.

Il serait vraiment désirable qu’une fois pour toutes, ceci fût bien compris, car c’est le nœud même de la difficulté. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a dans le monde une grande abondance et une grande misère à côté l’une de l’autre, mais si l’une est la cause on le remède de l’autre. Si elle est la cause, hâtons-nous de la détruire ; si elle est le remède, gardons-nous bien d’y toucher. Or, après ce que nous avons vu, le doute, il semble, n’est plus permis. Si l’homme naissait riche, s’il n’avait qu’à se baisser et tendre la main pour recevoir la vie de la nature, s’il arrivait au monde pour s’asseoir à un banquet préparé, et que peu à peu, au lieu de se répartir également, la richesse devint la possession exclusive de quelques hommes, si la masse des hommes descendait ainsi de l’abondance au dénûment, en vérité il y aurait lieu de se plaindre ; mais le cours des choses est inverse. C’est du dénûment au contraire, de l’indigence absolue, que quelques hommes s’élèvent, à grand renfort de travail continué pendant une longue série de générations, à une abondance toujours précaire, et qui a toujours besoin d’être entretenue. Que quelques-uns aient gravi cette rude pente, cela n’ôte rien à ceux, moins forts et moins heureux, qui sont restés au pied et à mi-chemin ; mais voici, au contraire, que cela leur profite. Par un arrangement providentiel, parvenues en haut, ces quelques familles, favorisées par le travail et l’hérédité, sont forcées d’aller chercher en bas leur point d’appui. Ce qu’elles ont conquis seules par le travail personnel, elles ne peuvent, quoi qu’elles fassent, le consommer ni l’entretenir seules pour leur jouissance et pour leur profit personnels. Devenez-vous riches, il faut qu’à l’instant le pauvre entre en partage de vos richesses, sans quoi elles sont inutiles pour vous et ne tardent pas à s’évanouir. Il n’est donc pas vrai que le superflu du riche soit un vol fait au pauvre ; c’est au contraire un fonds de réserve et d’épargne préparé pour lui, où il puise sans cesse. Sans le riche, le pauvre ne serait pas moins pauvre, car il l’est naturellement ; il serait toujours condamné au travail, il n’y aurait seulement personne pour lui en fournir les moyens. Il n’est pas vrai davantage que ce mouvement ascendant que nous essayions de dépeindre tout à l’heure, et qui, par le