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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/613

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vent concentrer la meilleure partie de leurs forces ; mais, à mon avis, c’est se tromper étrangement que de voir dans le dessin l’art tout entier. Et qu’on ne dise pas qu’en exigeant des élèves qui se présentent à l’école une instruction générale, je ferme peut-être la porte aux plus heureux génies. Les connaissances élémentaires que je demande sont aujourd’hui à la portée des plus pauvres familles. Qu’on n’invoque pas l’exemple de Giotto pour démontrer le danger des conditions préliminaires que je propose. Si Giotto, en effet, occupe un rang si glorieux dans l’école italienne, il ne doit pas toute sa renommée à l’étude exclusive de son art. Ses œuvres sont là pour attester qu’il n’avait pas pour les livres le dédain superbe qu’on voudrait lui attribuer. Si Giotto gardait les moutons avant d’entrer dans l’atelier de Cimabue, pour surpasser son maître non-seulement dans l’exécution matérielle des figures, mais bien aussi dans l’expression des physionomies, dans la partie poétique de la composition, il s’est nourri de lecture, de méditation ; il n’a reculé devant aucune étude ; l’histoire, la philosophie, sont venues en aide à son génie. L’infinie variété que nous admirons dans ses ouvrages n’est pas, quoi qu’on puisse dire, le fruit d’études purement techniques. S’il naissait aujourd’hui un nouveau Giotto, les conditions que je propose ne lui fermeraient pas les portes de l’école ; car une intelligence si heureusement douée comprendrait sans le secours de personne l’utilité de ces conditions et les accepterait avec joie. Une année lui suffirait pour acquérir ces connaissances élémentaires, sans négliger d’ailleurs son étude de prédilection, et cette année serait féconde.

Pour éviter d’ailleurs l’ombre même du danger, pour ne pas décourager les génies futurs, ne pourrait-on pas obliger les élèves, une fois admis, à suivre dans l’école même le cours d’instruction élémentaire qu’ils n’auraient pas suivi avant de se présenter ? De cette manière, toutes les difficultés seraient levées. Les génies prédestinés sur lesquels on paraît compter seraient assurés de réaliser pleinement les espérances qu’ils auraient données ; aucun obstacle ne les arrêterait à l’entrée de leur carrière, et leur intelligence, une fois éveillée, prendrait goût à l’étude et se développerait librement. En adoptant ce dernier parti, on n’exclurait personne, et les partisans exclusifs du dessin se résigneraient sans doute de bonne grace.

L’école des Beaux-Arts de Paris compte douze professeurs de dessin, sept peintres et cinq sculpteurs. Ces douze professeurs se partagent l’enseignement de façon à ne donner personnellement qu’un mois de leçons. Je conçois sans peine tout ce qu’il y a d’avantageux pour eux dans un tel arrangement, mais je doute fort qu’il puisse contribuer efficacement aux progrès des élèves. En effet, chacun des douze professeurs voit la nature à sa manière et comprend l’imitation du modèle vivant d’après certaines lois qui, très souvent, ne sont pas acceptées