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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/635

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parlé à son imagination calme. Rien enfin n’avait encore révélé ou réveillé en elle le sens poétique de la vie.

Sir Édouard était d’une tout autre nature. Riche, avide de plaisir, enclin au changement et dénué de force propre pour résister à un goût, il avait épousé Mildred par amour, mais par amour surtout de la nouveauté. La conversation qui venait de choquer si vivement sa femme lui avait, au contraire, inspiré une sorte d’attrait. On y avait traité sans façon les questions de cœur, et une jeune baronne de Cévèzes y avait donné cours à ce piquant verbiage du paradoxe, qui était devenu, dans les derniers temps, le fonds d’esprit des causeurs vantés, Elle avait exposé, en deux mots, « le complet système des relations sociales en France : — La faute est inévitable, et l’individualité de l’affection n’existe pas. » Cette métaphysique passionnelle avait paru infâme à lady Mildred ; elle avait fait sourire agréablement sir Édouard. Le roman est tout entier dans ce premier chapitre.

La forme y apparaît, telle que vous la verrez jusqu’au bout, plus française qu’anglaise, mais évidemment mêlée des deux élémens. On y sent percer l’instinct de la description violente, de l’exagération des détails, comme une réminiscence de Dickens appliquée aux classes élevées ; on y aperçoit surtout la tendance aux portraits, qui se développe à mesure que le récit avance. Plusieurs sont trop ressemblans, et nous aurons grand soin de ne pas les reconnaître, tout en remarquant que les modèles ont dû souvent poser pour être si bien reproduits. Il est fâcheux que le choix en ait été exclusivement fait dans le monde excentrique, et qu’un grand nombre de lecteurs ou plutôt de lectrices doive être réduit à ne pas comprendre ce mérite particulier.

C’est aussi dans ce premier chapitre que figurent les quatre personnages principaux qui vont nous indigner ou nous attendrir. J’en ai déjà nommé trois ; le quatrième est un jeune duc. Gaston de Montévreux, la perle de l’aristocratie française, nature d’élite dont Dieu s’est plu à enrichir les perfections, et qui n’attend, pour être rendue à elle-même et s’épanouir loin du chaos des frivolités, que la rencontre d’une ame aimante comme il en est peu sous le ciel. Ce personnage nous est connu : il se nomme Rochegune dans Mathilde, et M. Eugène Sue, que l’auteur traite assez mal, du moins quant à sa mise, lui a été, là, de quelque secours. Malheureusement la copie ne dure pas.

C’est dans le salon de la duchesse douairière de Montévreux que se prépare le nœud de l’action. Nous sommes en plein faubourg Saint-Germain, dont nous craignons qu’on ne nous parle que par ouï-dire, et dont l’esquisse est évidemment destinée au public anglais. Écoutons l’auteur : « Il y a entre l’appartement d’un gentilhomme à Paris et celui d’un enrichi la différence qui existe entre un cachemire de Lahore et un châle de Ternaux… Ce n’est qu’au faubourg Saint-Germain que se peut trouver l’élégance de bonne maison, le goût naturel qui produit l’union de la simplicité à la richesse, du magnifique au commode, qu’un gentilhomme seul peut apprécier, à laquelle un gentilhomme seul peut atteindre.

« En même temps, il faut le dire, cette distinction du reste de la société a été achetée à un prix qui pourrait paraître trop élevé. Si, comme nous l’avons entendu dire à Mme de Montévreux, il se trouve à Paris des lieux de refuge où les vieilles traditions sont saintes, et où rien n’est changé depuis le temps de