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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/649

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REVUE DES THEÂTRES.




La critique, en un temps comme le nôtre, est placée entre deux écueils. Si elle cherche à s’abstraire, à s’isoler des événemens politiques, si elle s’obstine à apporter dans ses déductions et ses arrêts la même gravité, la même insistance que dans les temps paisibles, elle risque de ne pas être écoutée, ou même d’inspirer un dédain poli, une pitié tant soit peu railleuse. Si, au contraire, dominée par ces grandes crises, trop vite persuadée de l’inutilité de ses efforts et de l’abandon qui menace les lettres, elle se condamne elle-même ; si elle imite ces peuples vaincus, qui, renonçant à leur nationalité brisée, déchirent leurs constitutions et leurs lois pour s’absorber et disparaître dans celles de leurs conquérans, elle mérite qu’on l’accuse d’avoir désespéré de ce qui doit échapper aux atteintes des tempêtes publiques, de ce goût du vrai et du beau, qui fait partie de la civilisation même, se rattache, par mille affinités puissantes, à la société tout entière, et conserve avec elle, dans les temps mauvais, une dangereuse, mais honorable solidarité. Ainsi, passer pour un inutile rêveur qui poursuit son idée fixe, ou pour un gardien infidèle qui abandonne son poste, tel est le double péril auquel s’expose la critique pendant les révolutions.

Ce n’est pas tout encore ; ce qui accrédite et agrandit d’ordinaire ce rôle de juge, toujours un peu aride et un peu triste, c’est la faculté de n’accepter l’œuvre ou l’incident qu’on examine que comme point de départ pour arriver à ces considérations larges, élevées, qui touchent à toutes les grandes questions, littéraires ou morales, poétiques ou sociales, et qui, sous une plume éloquente, peuvent se transformer en philosophie de l’art. Ces considérations générales sont aux faits particuliers ce que l’horizon est au paysage ; si le triomphe du peintre est de fondre en un harmonieux ensemble le paysage et l’horizon qu’il a sous les yeux, le mérite du critique est d’unir, par de mystérieuses analogies, l’œuvre