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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/667

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de telle ou telle nationalité ; c’est le domaine commun des races que la loi des territoires y a groupées et enchevêtrées. La chute rapide des usurpations magyares, la dispersion géographique des Slaves à la surface du sol, l’infériorité numérique des Allemands, montrent assez que ni les uns ni les autres ne peuvent accaparer la monarchie autrichienne ou se séparer d’elle. La défaite de l’insurrection viennoise, terminée sans les secours de Francfort, prouve en outre que cette monarchie saura bien suffire à sa défense intérieure. Victorieuse à Lemberg et à Milan, puisse-t-elle maintenant, par ses rapports avec des sujets que la nature ne lui a pas donnés, puisse-t-elle prouver aussi qu’elle se sent assez forte au dehors pour suffire aux exigences de la justice internationale !


Les Italiens ont eu le bon esprit de ne rien précipiter cette fois et d’attendre le dénouement des affaires de Vienne avant de tenter une nouvelle campagne. Ils ont prudemment agi, l’événement le prouve. Ce n’est pas que les excitations inconsidérées leur aient manqué ; mais les amis imprudens qui, de Paris, avaient commencé à leur battre la charge, ne se croient pas tenus de savoir quel est l’état réel des esprits dans la péninsule, ni quelles sont les ressources sur lesquelles on pourrait compter en cas de guerre. Or, les faits accomplis depuis huit mois nous ont appris qu’il ne fallait pas juger des dispositions de la population par les philippiques des journaux, par les clameurs des clubs et les turbulences de la place publique. Quant aux ressources matérielles, elles se réduisent plus que jamais aux seules troupes du roi Charles-Albert. Ce prince a fait, dans ces derniers temps, les plus grands efforts pour les réorganiser. Le courage, la constance et toutes les qualités militaires que possède le soldat piémontais lui ont rendu sa tâche plus facile qu’on n’était en droit de l’espérer après un complet désastre. Il a aussi songé à mettre à leur tête des chefs plus expérimentés. Toutefois il y a loin encore de cette nouvelle armée à celle que le soulèvement du mois de mars avait lancée en Lombardie. À cette époque, le Piémont avait aussi une forte réserve métallique amassée par une sage prévoyance. Les premiers mois de la guerre l’ont engloutie ; il a fallu bientôt escompter l’avenir. Hommes et argent, le Piémont fournissait tout : il semblait, à voir le reste de l’Italie, que ce petit état dût tout faire à lui seul. Aussi y a-t-il bientôt épuisé ses forces, et c’est merveille de le voir encore aujourd’hui les ramasser dans un noble et suprême accès de fierté nationale, et faire devant l’ennemi une telle contenance, que celui-ci ne pourra s’empêcher d’en tenir compte dans les conférences qui vont s’ouvrir bientôt, dit-on, à Bruxelles.

La continuation des armemens ne peut donc avoir pour le Piémont d’autre objet que de le mettre sur une défensive respectable et de préparer une paix avantageuse pour lui et pour le reste de l’Italie. C’est l’opinion de tous les esprits sages, en dépit des manifestations bruyantes des partisans de la guerre qui s’agitent à Turin comme à Gènes, en Toscane comme à Rome. À voir les assemblées délibérantes de ces divers états inscrire à leur ordre du jour ces graves questions de guerre et d’indépendance nationale, on pourrait aisément s’y tromper et croire à la reprise imminente des hostilités ; mais de la parole à l’action, il y a