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Je ne connais pas de classe d’hommes qui mérite plus, par son caractère, son dévouement, sa libéralité, les hautes prérogatives dont elle est revêtue, que l’aristocratie hongroise. Race noble et chevaleresque, digne encore des éloges que le génie de Montesquieu s’est plu à lui décerner, sa valeur est allée jusqu’à l’héroïsme quand on combattait, sa générosité jusqu’au sacrifice quand il s’est agi de sa fortune. Comme il arrive aux natures généreuses, ses sentimens se sont mis au niveau de sa situation ; elle a compris que dans les positions élevées, pour bien faire, il faut faire plus que le devoir.

Ces hommes osèrent inaugurer une politique nouvelle ; ils profitèrent de leur ascendant sur le pays pour l’entraîner dans un mouvement d’idées opposé aux vieilles routines. Les préjugés de la nation, au lieu de les seconder, s’opposaient à leur entreprise, qui ne pouvait s’accomplir sans le concours du gouvernement autrichien, et depuis si long-temps on avait appris au pays à se défier de ses maîtres, que d’eux tout était suspect, même les bienfaits.

C’était là, c’est là encore la grande difficulté des affaires hongroises. La Hongrie ne peut vivre sans l’Autriche, et elle a bien de la peine à vivre avec elle. A qui les torts ? A chacun sans doute, ou, si l’on veut, à personne. Ce sont des caractères et des natures très dissemblables, qui se heurtent, s’aigrissent souvent faute de se comprendre. La nécessité politique qui devrait resserrer ce lien ne suffit pas à enchaîner les affections ; c’est un de ces mariages de raison où l’on parle chaque matin de divorce. La Hongrie, qui est à la fois le parti passionné et sacrifié dans cette union, a vis-à-vis de l’autre une susceptibilité douloureuse qui va souvent jusqu’à l’injustice.

Ce sentiment répand partout son amertume. La Hongrie a beau introduire dans ses lois des réserves théoriques, n’accorder à l’empereur que le titre de roi, le soumettre à sa chronologie particulière de souverains en l’appelant Ferdinand V au lieu de Ferdinand Ier, battre sa monnaie à un coin particulier, arborer ses antiques couleurs : le fait d’un gouvernement étranger n’en subsiste pas moins avec toutes ses conséquences ; la pire de toutes est la défiance mutuelle que cette situation engendre ; elle aggrave profondément le mal inévitable. Des hommes que leurs principes appelleraient à être les soutiens les plus fermes d’un pouvoir national craignent, en prêtant leur concours au gouvernement, de travailler à l’asservissement de la patrie ; la question de