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les répugnances invincibles d’un peuple à accepter la domination et la langue d’une nation étrangère, la tâche difficile d’un gouvernement appelé à régner sur des peuples si divers de langage, de race et de génie.


IV

Le parti révolutionnaire connaissait bien cet état de choses et l’inextricable complication qu’il créera toujours pour la Hongrie ; il se hâta d’en profiter. A peine les libéraux avaient-ils cimenté leur alliance avec le gouvernement, que le parti radical, ou, comme on l’appelait, le parti séparatiste, ressaisit le drapeau abandonné, et constitua une nouvelle opposition, j’ai presque dit une nouvelle conspiration. Ce parti se grossit des vieux patriotes qui criaient à la trahison, des esprits impatiens qui voulaient courir au lieu de marcher, des ambitieux qui ne comprenaient pas qu’on s’arrêtât avant qu’ils fussent arrivés, des jeunes gens élevés dans les théories républicaines, d’un certain nombre de nobles auxquels les réformes de la diète enlevaient une partie des ressources qu’ils tiraient des paysans, enfin de cette foule d’avocats et de gens de loi dont fourmille la Hongrie, et qui ne savent à quoi employer leurs demi-connaissances, leur activité et leurs paroles.

Il fallait un chef à ce parti, et, comme il est souvent arrivé aux factions démocratiques, ce chef fut choisi dans une des grandes familles du pays. Le baron Vesséliny, descendant du palatin de ce nom[1], avait d’ailleurs toutes les qualités nécessaires au rôle qu’on lui destinait. Éloquent, intrépide, ambitieux, prêt à toute entreprise, c’était un de ces hommes aventureux qui trouvent un secret attrait à jouer leur fortune et leur vie dans de ténébreuses conspirations. Il appartenait à cette race arriérée de libéraux qui auraient dû naître aux temps de la féodalité, incapables de comprendre une opposition qui se renferme dans un rôle légal, agit au grand jour, et compte sur la raison publique pour obtenir à son tour la victoire. L’arène qui convient à ces hommes n’est point une de ces grandes assemblées où le génie et l’éloquence débattent le sort des empires. Il faut à leur sombre imagination moins de jour et de lumière : l’ombre, qui augmente les émotions du danger, leur va mieux. Ils ont ce courage personnel nécessaire dans les embuscades, mais ils craignent pour leur parti les batailles rangées. Ils s’attachent à la liberté par la persécution et les rigueurs ; ils en sont les martyrs bien plus que les apôtres. Le monde

  1. François Vesséliny, palatin en 1655 ; son portrait est dans la salle des séances du comitat de Pesth.