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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/845

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« C’est contre cette autorité que les libertins se révoltent avec un air de mépris ; mais qu’ont-ils vu, ces rares génies, qu’ont-ils vu plus que les autres ? Quelle ignorance est la leur ! et qu’il serait aisé de les confondre, si, faibles et présomptueux, ils ne craignaient d’être instruits ! car pensent-ils avoir mieux vu les difficultés à cause qu’ils y succombent, et que les autres qui les ont vues les ont méprisées ? Ils n’ont rien vu, ils n’entendent rien… Leur raison qu’ils prennent pour guide ne présente à leur esprit que des conjectures et des embarras ; les absurdités où ils tombent en niant la religion deviennent plus insoutenables que les vérités dont la hauteur les étonne, et, pour ne vouloir pas croire des mystères incompréhensibles, ils suivent l’une après l’autre d’incompréhensibles erreurs. » Trouvez-vous que la parole chrétienne ait vieilli dans la bouche de Bossuet ? Vous qui avez suivi les pénibles aberrations de l’auteur de la Société première, dites, après les insolens arrêts de mort portés contre le christianisme, de quel côté resplendit la vie immuable et triomphante !

Mais voici un ennemi à la fois plus brutal et plus logique, M. Proudhon. Celui-là entre en matière avec les gestes et les bravades d’un boxeur ; il y met encore moins de façons. Dans un de ses derniers pamphlets (le Droit au travail et le Droit de propriété), considérant le christianisme comme enterré, et tenant les clés du tombeau dans sa poche, il argumente sur la propriété d’après l’exemple du christianisme, et signifie sa fin à celle-là sur le billet de mort de celui-ci. Pour M. Proudhon, le fait a la certitude logique : c’est aussi nécessaire qu’une conclusion au bout d’un syllogisme ou qu’une synthèse juchée sur une antinomie. Notre homme dit du moins sa pensée avec franchise, pour parler poliment. Il ne veut pas, lui, fonder la société sur le sentimentalisme. Il part de l’individualité : chacun ne doit à la société que dans la proportion de ce qu’il reçoit d’elle ; le droit vient avant le devoir ; donnant donnant, voilà les conditions du marché que l’individu passe avec l’humanité ; on ne vous demande pas de sacrifice, on réclame son dû ; ce dû, c’est l’égalité complète entre les hommes dans les conditions matérielles de l’existence surtout ; quiconque a plus que moi me vole et m’assassine. Fraternité, chanson à lanterner les imbéciles ; c’est solidarité qu’il faut dire. Qu’on ne parle plus d’abnégation, de charité, de récompenses dans une autre vie ; vous avez affaire à un frère Jean qui ne donne pas la vie présente à crédit, qui la vend au comptant, à un Panurge qui mieux estime cul-de-jatte vivant qu’empereur mort ou saint en niche. Ce féroce goguenard a trouvé l’affaire de la pauvre humanité : il l’organisera en une vaste commandite, sous la raison sociale : Humanité, compagnie générale d’assurance et banque universelle d’échange. Dans cette belle machine, où s’accompliront sans repos, jusqu’à la fin des temps, la thèse, l’antithèse et