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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/847

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quand on a vu pendant quelque temps M. Proudhon se dandiner, comme une antithèse vivante, sur les deux échasses de l’antinomie, rien de plus facile que de donner le croc-en-jambe au Croquemitaine, et on éclate de rire en reconnaissant, sous la mine menaçante du monstre, les masques de comédie les plus bouffons. Le livre des Contradictions économiques est, par exemple, quelque chose de pantagruélique comme la délibération sur le mariage de Panurge, et de grotesque comme les réponses de Marphurius à Sganarelle. M. Proudhon a parfois, contre les économistes, des fureurs aussi doctes et aussi drôles que celles de Pancrace. Ces pauvres raisonneurs sont à chaque instant convaincus, les ignorans, ignorantissimes, ignorantifians, ignorantifiés, d’ignorer Aristote et de commettre des syllogismes in Balordo. M. Proudhon, c’est une justice à lui rendre, a prouvé, lui, qu’il était de force à ajouter à la logique de Hegel un fameux chapitre sur les chapeaux !

M. Saint-René Taillandier a expliqué ici les artifices et les faiblesses de la logique de M. Proudhon ; il n’y a plus à y revenir. Je vais seulement signaler un exemple flagrant de la mauvaise foi ou de la maladresse avec laquelle M. Proudhon raisonne sur les matières les plus graves ; je le prends dans la publication populaire à laquelle je faisais allusion tout à l’heure, ce qui me fournira en même temps l’occasion de toucher à une des erreurs fondamentales de la philosophie de M. Proudhon. Il s’agit du jugement par lequel il annonce la fin du christianisme et son antagonisme avec la société moderne. Je cite, dans sa crudité blasphématoire, un des passages les plus saillans : « Nous ne croyons plus à la présence réelle, à la procession du père et du fils, à l’éternité des peines, au jugement dernier ; nous nous moquons des miracles rapportés dans la légende évangélique aussi bien que de la grace efficace ; nous rompons, en toute sécurité de conscience, la loi du jeûne, et, quand a sonné pour nous la dernière heure, nous rendons paisiblement le dernier soupir sans prendre congé du prêtre. Mais le système de Copernic, de Galilée et de Newton s’enseigne dans toutes nos écoles, sans crainte de l’inquisition ; mais la philosophie de l’histoire et des langues n’a plus à redouter les censures de l’église ; mais le dogme de la souveraineté du peuple efface celui de l’infaillibilité du pape ; mais nous pouvons, socialistes, poser en face de l’égalité devant Dieu l’égalité devant le travail, et, à côté du droit divin de propriété, proclamer le droit humain de la solidarité sociale. Que ceux qui parlent de restaurer parmi nous la religion et la foi nous disent à laquelle de toutes ces libertés ils en veulent. »

Ce défi, envisagé au point de vue logique, abstraction faite de la forme interpellative, réunit trois propositions en un syllogisme. Seulement le syllogisme est renversé ; qu’on me permette, suivant un procédé employé souvent par M. Proudhon, de le rétablir dans la formule