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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/902

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le champ du paysan, ils y prennent racine tout aussi bien que sur le champ du boyard, sinon plus vite et mieux.

A peine les barricades de février étaient-elles abaissées, que la colonie valaque de Paris rêvait à son tour insurrection et progrès. Puis survinrent bientôt les révolutions allemandes qui battaient le pied des Carpathes ; le contre-coup retentit directement de l’autre côté des montagnes, à Jassy et à Bucharest, sur un sol déjà fort ébranlé par la révolution de février, et pendant que les Moldo-Valaques de Paris, convaincus de l’arrivée des temps prédits par le manifeste du gouvernement provisoire, accouraient à travers tout ce bruit de l’Allemagne, avec l’idée de marcher au pas de la démocratie, les Moldo-Valaques du pays, également pressés d’entrer dans les voies où se précipitait l’Europe, également enivrés de l’universelle espérance, organisaient leur première tentative. « Vous qui depuis tant de siècles restez plongés dans le sommeil et l’immobilité, s’écriait le poète moldave Alexandry en vers harmonieux, n’entendez-vous pas, ô mes frères, comme à travers, un rêve, la voix triomphale du monde à son réveil, cette acclamation immense qui monte vers le ciel et vole au-devant de l’avenir ! » Et qu’on ne l’oublie pas, ce n’était point seulement aux Roumains des deux principautés que ces paroles étaient adressées, mais aussi à ceux de la Hongrie, de la Transylvanie, de la Bucovine et de la Bessarabie. « Debout ! debout ! ajoutait le poète ; voici l’heure de la fraternité pour tous les enfans de la Romanie. Frères du même nom, frères du même sang, étendons nos bras par-dessus la Molna, le Milkow, le Pruth, les Carpathes, et donnons-nous tous la main pour ne former désormais qu’une seule nation dans une seule patrie. »

La cause des Moldo-Valaques était sérieuse et bonne ; leur droit était clair et incontestable. A part ce grand but poétique de l’unité nationale, qui est le secret de l’avenir, ils ne mettaient en avant que des prétentions très simples et très constitutionnelles, et ils ne voulaient pas recourir à la violence sans avoir épuisé tous les moyens légaux. Si les magistrats suprêmes et viagers, si les hospodars ou princes acceptaient un programme libéral et consentaient à des concessions équitables, ils n’avaient rien à craindre : la faveur publique les maintenait et les fortifiait sur le trône ; mais, pour mériter cette faveur, ils devaient, au lieu de rester, comme par le passé, courbés timidement sous l’influence du protectorat, prendre en face de la Russie une attitude à la fois libérale et nationale.

Par malheur, le caractère des deux princes ne se prêtait point à cette politique, qui eût été peut-être tout aussi facile qu’honorable. En Moldavie régnait Michel Stourdza, diplomate rusé au point de pouvoir tromper des Fanariotes et des Russes, concussionnaire systématique dans le double intérêt d’amasser et d’être en mesure de corrompre, sachant