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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/905

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Plusieurs patriotes moldaves, respectés jusqu’alors par la police du prince, se retiraient par précaution vers Bucharest, en se rappelant tristement, à la vue des champs féconds qu’ils abandonnaient, ce regret du poète antique :

Barbarus has segetes !…


Ils allaient mêler leurs griefs à ceux des Valaques, qui, agissant sur un théâtre plus vaste, avec des passions plus vives, plus d’expérience, plus de moyens d’action en face d’un prince moins rusé que Stourdza, avaient aussi plus de chances de réussite et comptaient réparer l’échec de la démocratie moldave. L’intention des Valaques, qui espéraient l’appui décidé de la France à Constantinople, était de prendre la question par son côté diplomatique, et la Turquie, dans un sage empressement, leur en avait offert l’occasion. Dès le lendemain de la tentative avortée de la Moldavie, le divan, frappé de l’agitation qui régnait dans les deux principautés, y avait envoyé un commissaire ; car on sait que le gouvernement turc, suzerain du pays, n’y est, en temps ordinaire, représenté par aucun agent, et y paraît moins que le dernier des gouvernemens constitués de l’Europe. Lorsque le commissaire Talaat-Effendi arriva en Valachie, il y reçut l’accueil le plus empressé, et, bien que ses sentimens se soient plus tard refroidis, il se montra d’abord favorable aux vues du parti progressiste. Ce parti n’ambitionnait que de faire accepter son alliance et son bras à la Turquie contre le protectorat. Les Valaques, dans des termes trop chaleureux pour n’être pas sincères, et conformément aux nécessités les plus évidentes de leur politique, protestaient de leur dévouement pour la cour suzeraine auprès de Talaat et à Constantinople. « Nous sommes revenus, disaient-ils, de l’ancienne et funeste politique de nos pères, d’où est né le protectorat ; nous ne songeons qu’à en réparer les tristes effets, en nous ralliant cordialement à la Sublime-Porte, en lui promettant notre concours pour le maintien du principe salutaire de l’intégrité. » Que demandaient les Valaques pour prix de ce dévouement ? Une réforme dans l’administration, l’égalité civile et politique, toutes institutions établies déjà chez les Serbes, sur la rive droite du Danube, et non plus dangereuses apparemment sur la rive gauche. Les Valaques prouvaient d’ailleurs, dans un mémoire explicite et net, que la Russie seule peut avoir intérêt à ce que la corruption règne dans le gouvernement et le désordre dans les lois valaques.

La Russie agissait de son côté sur Talaat-Effendi, qu’elle essayait de séduire, sur le divan, auquel elle dépeignait avec de sombres couleurs la marche de la révolution européenne, enfin et principalement sur Bibesco, devenu le triste instrument de la politique du protectorat, et qu’elle poussait à une résistance désespérée.