Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/917

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au contact des Bulgaro-Serbes et des Moldo-Valaques, cette virilité qu’elle demande en vain à la race ottomane. Dans tous les cas, en tolérant le mouvement national de ces peuples, en protégeant leurs révolutions amicales à son égard, elle ne ferait qu’ouvrir un lit à un torrent capable de l’emporter elle-même un jour avec toutes les digues, si elle avait jamais la funeste pensée de se jeter en travers. C’est donc une question de vie ou de mort ; mais il dépend des Turcs que ce soit la vie, car les Moldo-Valaques et les Bulgaro-Serbes s’y prêtent de tout cœur, avec un élan pareil à celui des Croates et des Valaques transylvains combattant pour la nouvelle Autriche.

A la vérité, l’ennemi contre lequel il s’agit de se coaliser est plus redoutable que l’ennemi des Slaves et des Valaques de l’Autriche. Avant de se lancer dans une lutte ouverte avec la Russie, il est important de savoir jusqu’où l’on compte aller, d’apprécier ce que l’on vaut et ce que l’on peut. Au premier regard, la Russie seule, au milieu de l’universelle agitation de l’Europe et du bouleversement des intérêts, semble rester calme, impassible, les yeux toujours attachés sur le même but. La révolution gronde ; la démocratie, la nationalité, soulèvent des tempêtes sur toute sa limite à l’ouest et au midi : la Russie ne renvoie point d’écho. On dirait que ces bruits se brisent contre sa frontière d’airain, et que derrière cette infranchissable ligne règne un vaste et froid silence. Un seul instant, ce silence a été interrompu par le pas régulier des régimens qui venaient imposer aux principautés du Danube ce calme de plomb. Chaque fois que l’Europe, s’arrachant à ses préoccupations quotidiennes, a porté les yeux de ce côté, elle a été frappée de cette apparence d’impassibilité ; elle s’est demandé avec inquiétude ce qu’il y avait de force sous ces dehors belliqueux, par-delà ces frontières hérissées de plusieurs rangs de baïonnettes, rigidement fermés, si ce n’est lorsqu’il s’agit d’ouvrir sur les principautés un passage aux milices de l’absolutisme et de la conquête. L’obscurité dont, à toute époque, la Russie a su se tenir enveloppée, le prestige du mystère joint à ce grand air, à ces allures de puissance, ont persuadé à l’Europe qu’il y avait dans la politique froide, sévère, hardie du czar, une grande vigueur, le pouvoir de maintenir l’immobilité absolue chez lui et de combattre avec avantage le mouvement chez les autres. Peut-être cependant faut-il voir, dans l’attitude prise par le cabinet russe depuis le mois de mars, bien moins une force vraie qu’une audace calculée pour entretenir et le dedans et le dehors dans une illusion favorable à l’action d’un gouvernement qui a aussi son côté faible et ses dangers. Oui, il se pourrait bien que l’action de la Russie fût infiniment moins libre, moins sûre d’elle-même qu’on n’est habitué à le supposer. La Russie est surtout une puissance diplomatique, si l’on peut ainsi dire, et c’est dans les congrès ou les conférences diplomatiques