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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/924

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— Eh bien ! monsieur, parlons donc de Fontgravière.

— Alors tu conviendras que Mlle de Saint-Cyr est un parti qui n’est pas mon fait le moins du monde. D’abord elle est trop riche.

— C’est là un défaut dont beaucoup de gens s’accommoderaient.

— Ah ! fi ! on n’aurait qu’à dire que je l’épouse pour son argent. Et puis ma cousine est trop jeune.

— Il est certain qu’elle a dix-huit ans, et que vous en avez bien vingt-quatre.

— N’as-tu point remarqué qu’elle a les goûts futiles ? Je l’ai surprise un jour qui parlait à son chardonneret.

— Il n’y a rien à répliquer à cela.

— Voilà quelques mois que je fais, sans en avoir l’air, toutes sortes de réflexions. Or, j’affirme sur mon honneur qu’il est malséant d’épouser une jeune fille, lorsqu’on n’est pas assuré de la rendre heureuse. N’est-ce point ton avis ?

— Voilà une réflexion que vous n’eussiez pas faite il y a six mois. C’est un progrès.

— Le caractère de Mlle de Saint-Cyr et le mien ne sympathisent pas dans le fond. Elle raffole du clavecin, et c’est un instrument qui m’agace les nerfs.

— Il est certain que la guitare vaut mieux.

— N’oublie pas encore que je suis marin ; que veux-tu que devienne une femme dont le mari est toujours à la veille de partir pour les Grandes-Indes ?

— Ne vous inquiétez pas, monsieur, tout s’arrange.

— C’est un arrangement qui ne me plaît pas du tout.

— Oh ! mon Dieu ! on s’y fait.

— Sais-tu bien, Manille, que tu es ce matin d’une immoralité épouvantable, et que je ne sais ce qui me tient de te rouer de coups ?

— Moi, monsieur ?

— Tais-toi ! Apprends, maraud, que je ne suis pas de ceux qui s’accommodent de pareils traitemens.

— Parbleu ! monsieur ; qui vous parle de s’en accommoder ?

— Toi.

— Point ! on les ignore, et c’est bien assez.

— Tu as des principes abominables, et tu vas m’obliger à te passer mon épée au travers du corps pour t’en faire changer.

— Vous faites beaucoup d’honneur à mes principes ; s’ils ne vous plaisent pas, je n’y tiens guère, et nous mettrons que je n’ai rien dit.

— Vois-tu, Manille, si tu étais de bonne foi, tu reconnaîtrais que, tout bien considéré, ce serait folie à moi d’épouser ma cousine.

— Vous auriez plus tôt fait, monsieur, de me dire que vous aimiez Mlle Nelly.