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Il ne pourrait y avoir de doutes sur la bonne part faite au paysan hongrois que si l’on se plaçait au point de vue adopté par la diète révolutionnaire de 1848, c’est-à-dire si l’on supposait que la propriété appartient aux paysans, et que les dîmes et corvées ne sont que des charges féodales imposées par la tyrannie des âges passés aux possesseurs non nobles. Toutes les traditions de l’histoire et les lois du pays contredisent formellement un tel système. La diète de 1836, si favorable aux paysans, rappelle, dans l’article 8 de l’Urbarium, « que la propriété de la terre que cultivent les paysans a toujours appartenu et appartient au seigneur. »

Pour moi, je le déclare, je n’ai vu nulle part plus de bien-être matériel, d’aisance, de santé, que dans les villages que j’ai visités en Hongrie. Je sais combien il faut prendre garde de conclure du particulier au général dans les observations de ce genre ; ce que je dis s’applique surtout au Banat et à la partie ouest de la Hongrie. Ce sont les contrées qui sont restées le plus long-temps au pouvoir des Turcs. Elles ont été colonisées seulement après leur expulsion. Les terres y sont fertiles ; les domaines ont été accordés à de grands seigneurs qui ont favorisé par tous les moyens possibles les travaux de défrichement et accordé aux paysans des conditions très favorables. Dans les comitats du nord, au contraire, qui composaient autrefois toute la Hongrie, la population nobiliaire s’était agglomérée de longue date, laissant moins d’espace et de liberté au paysan, obligée par la pauvreté même de le pressurer assez étroitement, et ruinant ainsi toute émulation féconde. Les nobles de ces comitats passent pour des maîtres plus durs et moins généreux que les autres ; ils sont plus remuans et querelleurs. Ces comitats, s’ils n’avaient pas les vignobles de Tokay et les mines de Schemnitz et Kremnitz, seraient dans une condition très inférieure à celle du reste du pays. Même avec les avantages qu’ils retirent de leurs vignobles et de leurs mines, les comitats du nord ne méritent pas les éloges que nous donnons ici aux comitats de l’ouest et du Banat. Les paysans hongrois et esclavons qui habitent le nord sont beaucoup plus rudes, plus grossiers ; c’est sur eux que peuvent retomber certaines accusations de malpropreté qui ne leur ont pas été épargnées par les voyageurs. Ces reproches sont principalement fondés sur l’usage que la plupart d’entre eux font de la graisse de porc pour lisser les longs cheveux collés sur leur visage, et se rendre le corps moins sensible aux intempéries de la saison. On oublie trop que dans les classes inférieures, plus rapprochées de l’état de nature, le génie particulier et l’instinct de chaque race agissent d’une façon plus énergique sur l’état des populations que dans les conditions supérieures de la société. Ainsi le paysan slave est de sa nature plus sale et plus grossier, son habitation plus misérable, non parce qu’il est plus pauvre, mais parce qu’il n’éprouve