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nul ne vous dira qu’il faut conserver ces vestiges de barbarie, et chaque jour elles disparaissent. N’oubliez pas, quand vous voudrez juger nos institutions et nos coutumes, qu’il y a cent cinquante ans à peine, quand vous étiez en plein siècle de Louis XIV, nous étions, nous, sous le joug des Turcs, et que depuis il a fallu souvent employer à défendre nos libertés le temps que vous avez consacré à mettre vos lois en harmonie avec la raison publique. »

Il serait facile de multiplier les observations et les critiques sur une telle législation. On le voit, les institutions civiles aussi bien que la constitution politique réclamaient en Hongrie de profondes réformes ; en s’éprenant de la liberté moderne et en voulant l’importer dans une société faite sur d’autres principes, la diète hongroise n’avait peut-être pas entrevu toute l’étendue des sacrifices qu’elle devrait successivement consentir. Aux premiers coups, l’édifice vermoulu avait craqué de tous côtés, et, entendant le bruit de cette ruine, les esprits sages se demandaient avec quels élémens on élèverait une société nouvelle. Comment faire passer sans de redoutables épreuves une multitude esclave à la liberté, une noblesse turbulente au respect de l’ordre et du droit d’autrui ? Le danger n’était pas moins dans les instrumens appelés à guérir le mal que dans le mal même. Nous avons expliqué le mécanisme de la diète, les bizarreries, les anomalies étranges de son organisation était-ce une assemblée bien préparée pour l’œuvre de la réforme ? Chacun était disposé à corriger les abus du voisin ; cela était sûr, mais nul ne trouvait qu’il fût lui-même un abus. Aussi ne manquait-il pas de gens, et dans les opinions les plus opposées, qui croyaient qu’un pouvoir unique et absolu était seul capable de mettre l’ordre dans cette Babel de nations, de lois, de classes et de coutumes. Sur ce point, comme nous l’avons vu, les révolutionnaires se trouvaient du même avis que le publiciste de la chancellerie autrichienne dont nous avons cité le mémoire. Seulement chacun entendait bien que ce pouvoir constituant lui reviendrait. Je causais souvent avec un député de l’opposition, fort avant dans les idées radicales ; c’était son thème favori. Selon lui, refaire la constitution à neuf était une œuvre indispensable, et, avec le concours de la diète, une œuvre impossible. Je n’ai pas été surpris de le voir figurer depuis parmi le petit nombre de séides dont le dictateur Kossuth s’est entouré. Il ne pardonnait aux magnats ni la supériorité de leur situation ni leur volonté de rester dans les voies constitutionnelles.

« Vos amis de la première chambre, me disait-il avec humeur, ne