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textuelle et formelle à quelques-uns de ces derniers écrits « Le paupérisme, dit M. Vidal, un des abréviateurs de la doctrine, fléau d’origine récente, est la conséquence forcée du salariat et de la concurrence, de la condition nouvelle faite aux classes laborieuses dans ce régime maudit qu’on a faussement appelé régime de la liberté du travail. De tout temps, on avait connu la pauvreté accidentelle ; mais autrefois la pauvreté recrutait ses sombres légionnaires parmi les infirmes ou les invalides, parmi les fainéans ou les débauchés, parmi ceux qui étaient hors d’état de travailler, ou qui refusaient volontairement de travailler. Aujourd’hui le paupérisme recrute parmi les ouvriers valides, honnêtes, laborieux, parmi les travailleurs sans emploi de l’agriculture. » Vous remarquez cette opposition entre autrefois et aujourd’hui ; autrefois, suivant M. Vidal, le mal était accidentel ; aujourd’hui, il est permanent et chronique. Mais, après le secrétaire, écoutez le président de la commission du Luxembourg, M. Louis Blanc, le rhéteur du parti. Celui-ci, dans son dernier pamphlet (Droit au travail), affirme que, sous le régime déplorable qui nous écrase, tous les progrès industriels deviennent pour les travailleurs « des motifs de douleur et d’inquiétude, » que la tendance des salaires est de décroître, et que dans les manufactures de coton, de 1814 à 1833, ils ont baissé de onze douzièmes ; qu’enfin la concurrence aboutit à la fois à un accroissement démesuré des forces de la production et à une décroissance correspondante des moyens de consommation, et c’est M. Louis Blanc qui souligne lui-même ce contre-sens monstrueux !

Voilà la calomnie sur laquelle le socialisme révolutionnaire fonde les attaques qu’il dirige contre la société. Je l’appelle à dessein un préjugé de mauvaise foi, car elle est péremptoirement démentie par les faits, et il est odieux de dénaturer les faits pour venir, en leur nom, ameuter contre l’édifice social des passions ignorantes et trompées. Il ne s’agit point ici de simples accidens, car les socialistes assignent toujours à leurs principes et à leurs assertions une signification et une portée générales. La question qu’ils soulèvent est celle-ci : La condition des classes laborieuses prises dans leur ensemble va-t-elle en se détériorant sous l’influence du régime économique actuel ? Ils ne craignent pas de répondre oui, tandis que les faits et les choses, au contraire, établissent irréfutablement la marche ascendante des travailleurs.

D’abord est-il vrai qu’avant le régime manufacturier qui s’est étendu en Europe à la faveur de la liberté politique, des progrès scientifiques et de la paix, la pauvreté, comme le veulent M. Vidal et les révolutionnaires socialistes, fût une chose accidentelle ? Je le répète, il y a une mauvaise foi cynique à l’affirmer, car, en un pareil débat, l’ignorance serait plus criminelle que l’erreur, et ne se peut excuser. Or, voici quelle était la situation économique de la France à la fin du règne de Louis XIV. C’est le maréchal de Vauban qui la décrivait dans son