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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/263

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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

nemies avaient averti l’émir de notre approche ; tant pis pour qui reste en chemin. Une vingtaine d’hommes ne purent suivre, et furent laissés en arrière.

Ainsi clopin-clopant, épuisés, haletans, nous arrivâmes à Temda, juste à temps pour voir déboucher d’une colline, enseignes déployées, les cavaliers réguliers d’Abd-el-Kader. Au centre de ses escadrons flottait le grand drapeau blanc, à la main brodée, signe du commandement ; aux deux ailes s’élevaient de petits fanions de différentes couleurs. Tous ces cavaliers arrivèrent d’abord comme pour nous charger ; nous, de notre côté, nous prîmes le galop pour les mieux recevoir, mais nos prévenances eurent peu de succès. Faisant un à-gauche, ils gagnèrent en hauteur, non sans avoir fait feu de toutes leurs armes. Nous les poursuivîmes l’épée dans les reins, mais nos chevaux épuisés perdirent le souffle et refusèrent d’aller plus loin. Après une halte d’une heure et les premiers soins donnés aux blessés, nous reprîmes la direction de l’Oued-Teguiguess, observés à distance par quelques cavaliers. Nous suivîmes le plus long-temps possible la route parcourue le matin dans l’espoir de rallier les hommes laissés en arrière. La nuit nous surprit dans des gorges de rochers. Les trompettes sonnaient à toute volée et à temps égaux ; dans ce silence de l’obscurité, quand les plus alertes ce matin encore allaient tête basse et fatiguée au milieu de ces crêtes rocheuses, ces trompettes, qui tout à coup déchiraient de leur bruit aigu le silence des solitudes, produisaient une singulières impression. On eût dit autant de cris d’alarme répétés par les échos pour évoquer les morts. À dix heures du soir, nous arrivâmes au bivouac du maréchal Bugeaud. Un de nos blessés, Barthelmy, avait reçu cinq coups de feu pour sa part. Ce Barthelmy est un des héros de notre odyssée. Le matin, une balle le jette à bas de cheval ; la colonne chargeait et le laisse à terre. Des fourrageurs ennemis s’approchent et lui envoient deux autres balles. Lui cependant, il fait le mort. Les Arabes mettent pied à terre, lui enlèvent son ceinturon, puis laissent là ce cadavre immobile. L’un d’eux, un de ces malfaiteurs de la guerre qui s’acharnent aux cadavres (et il y en a malheureusement plus d’un, même parmi les Français), qui ne sont courageux que contre les morts, lui applique son fusil sur la tempe. C’en était fait, mais le cheval de l’Arabe s’écarte, le coup part, la balle mal dirigée rase le front du chasseur et va se perdre dans la terre. Le même soir, Barthelmy disait dans son style de soldat, au chirurgien qui le pansait : « C’est égal, major, je leur ai tiré une fameuse carotte ! »

Le lendemain, 24 décembre, M. le maréchal fit former, avec la cavalerie et six cents hommes d’infanterie d’élite du colonel Molière, une petite colonne légère dont le commandement fut confié au général Yousouf. Nous devions d’abord gagner Thiaret pour y chercher de