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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/270

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REVUE DES DEUX MONDES.

Quand la révolte avait éclaté comme un coup de foudre de l’ouest à l’est de l’Algérie, le maréchal Bugeaud était en France. À la première nouvelle de nos revers, il hâta son retour, et, sans perdre un instant, de nombreuses colonnes, obéissant à une impulsion uniforme et correspondant entre elles, sillonnèrent par ses ordres le pays tout entier. On châtia les traîtres, on protégea les faibles, mais surtout on suivit sans relâche l’ame de l’insurrection, Abd-el-Kader. À peine avait-il le temps de poser son bivouac, que nos têtes de colonne le forçaient à fuir. En vain, comme dernière ressource, l’émir chercha-t-il à jeter l’inquiétude du côté d’Alger : le vieux maréchal, malgré les rigueurs du temps, le suivit au milieu des montagnes et le chassa de ce dernier repaire ; enfin, après une année de fatigues inouies, il eut la joie de voir son œuvre consolidée, et la paix, prix de tant d’efforts, acquise pour long-temps à l’Algérie.

On ne frappe de tels coups, on n’obtient de tels résultats qu’avec une armée qui a pour son chef plus que de la confiance, qui lui porte de l’affection et du respect. Tels étaient, en effet, les sentimens que M. le maréchal Bugeaud avait su inspirer à ses soldats. Qui de nous a pu oublier cette noble figure et ce noble cœur ? Dans leur langage familier, les soldats l’avaient surnommé le père Bugeaud, et ils avaient raison, car sa sollicitude pour eux était grande comme son affection. Facile et communicatif, il se sentait heureux parmi ses troupes comme au milieu d’une famille ; son langage plein de bonhomie allait droit au cœur du soldat. Tous lui savaient gré de savoir parfois oublier son haut rang, et le respect qui l’entourait en était plus grand encore. C’est qu’à l’heure du danger le chef reparaissait tout entier. En ces momens-là, tous les regards se tournaient vers lui, sûrs de trouver une direction, des ordres précis, et, si le péril devenait impérieux, le salut de tous. Un roi de Castille, vaillant guerrier, a dit : Murio el ombre, mas no su nombre (l’homme meurt, mais son nom vit). M. le maréchal Bugeaud est du petit nombre de ceux qui survivent aux générations ; bien plus, qui laissent un souvenir dans le cœur de tous ceux qu’ils ont commandés.

Le moment était venu de donner quelque repos aux troupes après la laborieuse campagne de l’hiver de 1846. L’ordre nous vint donc de reprendre la route d’Alger, ou nous devions nous arrêter quelques jours avant de regagner Mostaganem. De Médéah nous atteignîmes Blidah en passant par la gorge de la Chiffa, une des merveilles de l’Afrique, une des beautés du monde. Figurez-vous, dans une coupure à pic de cinq lieues de long, une magnifique route de vingt-cinq pieds de large, conquise tantôt sur le rocher que la mine a dompté, tantôt sur le torrent qui cède une partie de son lit séculaire. Les lichens, les herbes de toute espèce poussent dans les fentes des rochers. Dans les places plus favorisées où la terre végétale n’a pas été enlevée, de