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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/633

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sur cette Cassandre arrachée du sanctuaire de Minerve, et qui élevait ses regards vers le ciel ; ses regards, puisque ses mains étaient enchaînées :

Ad cœlum tendens ardentia lumina frustra,
Lumina, nam teneras arcebant vincula palmas.

Que fait Sedulius de ces vers de Virgile ? Jésus, sur la croix, convertit un des larrons crucifiés avec lui. C’est ce larron auquel Sedulius applique tant bien que mal les vers de Cassandre :

Alter, adorato per verba precantia Christo,
Saucia dejectus flectebat lumina, tantum
Lumina, nam geminas arcebant vincula palmas.

Je sais bien que les belles mains de Cassandre ne pouvaient guère ressembler aux bras tordus et déchirés du larron crucifié ; mais Sedulius, n’osant pas dire du larron qu’il avait de belles mains, ne pouvait-il pas dire autre chose, sinon qu’il en avait deux ? Voilà cette poésie toute de forme et de mécanisme, où la mémoire seule a sa part, et une mémoire timide et servile. La poésie de Sedulius conduisait tout droit au centons de Falconia et de l’impératrice Eudoxie.

Les centons sont un travail de marqueterie, qui consiste à prendre çà et là les vers d’un poète et à les appliquer à d’autres pensées. C’est ce travail qu’ont exécuté avec une patience méritoire une dame romaine nommée Proba Falconia, qui a mis en vers de Virgile les principales scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, et une impératrice de Byzance, Eudoxie, femme de l’empereur Zénon, qui a fait avec Homère ce que Falconia a fait avec Virgile. Ces travaux de marqueterie, que je regarde comme des œuvres de pénitence imposées sans doute à leurs auteurs, méritent à peine que j’en cite quelque chose. Cependant il y a dans cet essai de faire de Virgile un poète chrétien le caractère d’une époque qui, aimant encore la poésie et n’en pouvant plus faire pour son compte, en faisait tant bien que mal avec les vers des autres.

Dans son invocation, Falconia, comme tous ses prédécesseurs, fait fi des muses païennes ; mais c’est avec des vers empruntés à Virgile qu’elle dédaigne les muses. « Son but, dit-elle, c’est de chanter les mystères de la religion » Comme malheureusement ce mot ou cette idée de religion n’est guère familière à Virgile, voici comment Falconia s’exprime par la bouche de son poète :

Omnia tentanti potior sententia visa est
Pandere res alta terra et caligine mersas.

Dans Virgile ces mots-là s’appliquent à la révélation des mystères de l’enfer.