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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/828

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REVUE DES DEUX MONDES.

grande partie des troupes pour la campagne du printemps, et le général, qui craignait d’être surpris par le mauvais temps, avait hâte de quitter le pays. Aussi, les conditions de la soumission promptement débattues et acceptées, nous reprîmes la direction de Milianah. Une marche de trois jours nous ramena dans cette ville ; mais, nous n’y fîmes qu’une halte de quelques heures. M. le maréchal Bugeaud rappelait le général à Blidah, afin d’arrêter, de concert avec lui, les opérations de la campagne du printemps qui allait s’ouvrir. Ce n’était qu’à la suite de cette conférence que nous devions revenir séjourner à Milianah, en attendant l’ouverture des prochaines hostilités. Fonder un poste dans la vallée du Chéliff, nouveau lien des provinces d’Alger et d’Oran, amener à nous les populations de cette vallée, soumettre les montagnes de l’Ouarsenis, poursuivre enfin la smala sur les hauts plateaux du Serssous, et détruire cet arsenal mobile de l’émir, tel était le plan de la campagne du printemps. M. le maréchal Bugeaud devait créer le poste d’Orléansville. Au général Changarnier revenaient de droit les difficiles montagnes de l’Ouarsenis. La smala enfin était réservée à M. le duc d’Aumale, qui commandait à Médéah.

Pour emporter les matériaux nécessaires à la fondation d’Orléansville, il fallait des prolonges ; pour les prolonges, il fallait une route qui permît de franchir le Gontas, et d’atteindre ainsi la vallée du Chéliff. Les troupes de Milianah vinrent donc s’échelonner dans la vallée de l’Oued-Ger, car ces vingt lieues de route dans ces terrains difficiles devaient être achevées en quinze jours. Cette vallée, naguère si calme, retentissait maintenant du bruit des pioches et des joyeuses chansons des soldats travailleurs. De deux lieues en deux lieues, de petits camps étaient établis, et la route se créait comme par enchantement, gravissant le Gontas par de longs lacets, pour descendre ensuite dans la vallée du Chéliff.

En regagnant Milianah, nous suivîmes la route nouvelle. Les chefs du Djendel[1], Bou-Allam, et son frère Bagrdadi, de l’illustre famille des Ouled-Ben-Cherifa, vinrent saluer le général, lorsque nous descendions les dernières pentes de la montagne. Bou-Allam, l’ancien agha de la cavalerie irrégulière de l’émir, était un hardi compagnon à l’œil aussi noir que la moustache, à la physionomie énergique, commandant le pays plus encore par la force de son bras que par l’antique renom de son sang illustre. Long-temps il fut notre ennemi acharné. Il était de toutes les entreprises. On le voyait partout, suivi de son fils, enfant d’une beauté merveilleuse et son unique affection. Ce dur soldat ne pouvait s’en séparer, craignant toujours pour lui dès qu’il était loin. Un jour pourtant il revint seul à sa tente, une balle française avait tué

  1. Le pays entre Médéah et Milianah.