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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/959

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hommes me semblaient un peu plus ou un peu moins sots. J’attachais peu de prix à la différence. Celui-là, après tout, était d’une humeur obligeante. Il m’épargnait l’ennui de faire des courses, d’écrire des lettres, et me tenait de longs discours pendant lesquels je m’établissais conformément dans quelque songerie. Ah ! William, vous m’avez transformée.

— Jane, fit William d’une voix sombre et passionnée en embrassant l’actrice sur le front, que ne puis-je brûler toutes les images qui sont entrées dans votre cerveau avant que vous m’ayez connu !

— Hélas ! lui répondit-elle avec un douloureux accent, je vois bien à quoi vous songez : j’ai mené une vie indigne. Je suis la plus misérable des femmes ; je suis née en pleine Bôhème. Le premier fruit qu’on ait porté à ses lèvres a été le fruit défendu. Je ne sais pas quelles affreuses passions, quels terribles caprices ne m’ont pas battue de leurs ailes. Si vous désiriez des aveux, je vous en ferais dont vous-même, qui êtes un homme, vous frémiriez ; plus elle insista sur cette pensée, exprimée sous toutes ses formes à chacune de leurs nouvelles liaisons, par les hommes et par les femmes qui ne peuvent cacher un bagage embarrassant de galanterie, que dans le cœur est la vraie virginité, qu’elle donnait son cœur pour la première fois. Et enfin, en arrivant aux détails même de sa vie, elle présenta à William ces faits qu’elle lui avait peints d’abord si monstrueux sous des couleurs telles que le pauvre amoureux croyait peu à peu presser l’innocence même entre ses bras. Évidemment, aucun homme eu ses faveurs avant lord Damville, et même était-il bien sûr que lord Damville eût été son amant ?


VIII

Le fait est que William aimait comme il n’avait jamais aimé ; c’était sa vie tout entière qui s’écoulait, heure par heure, en joies, en souffrances, en emportemens, en extases, aux pieds de sa maîtresse. Il était plongé dans cette atmosphère féminine ou languissent et s’éteignent avec tant de délices les plus nobles, les meilleures existences, et cependant à chaque instant, lui dont l’esprit était vraiment élevé, dont le cœur était profond et sincère, il comprenait tout ce qui manquait à l’être dont il avait fait son dieu. La nature de miss Jane était en tout un mystère. Il y avait dans sa voix, quand elle déclamait les vers de Shakspeare, plus de poésie que dans la pensée même qu’elle traduisait. Ses costumes savans et charmans annonçaient chez elle une plus intime et plus vive intelligence de la peinture que celle des plus grands peintres de toutes les écoles ; eh bien ! quand elle raisonnait sur un poème ou sur un tableau, jamais rien d’original d’élevé ne sortait de sa bouche. Un jour, William alla visiter avec elle la célèbre galerie