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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1012

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ces braves gens ont le ventre creux, mon bon Kado. Allez jusqu’au village, apportez-leur à souper. Vous nous retrouverez sur la lande aux Pierres. Voici ma bourse.

— Mais, monsieur Hervé…

— Prenez ma bourse, vous dis-je, et, sur votre vie, payez tout, quand vous devriez mettre de l’argent dans la main de ce vieillard.


VI.


Ta voix m’est agréable, enfant de la irait :
Car les fantômes n’effraient point mon ame.
Ta voix est charmante a mon cœur.
(Chants Ossianiques.)


Guidé par les souvenirs encore vivans de son enfance, le commandant Hervé entra avec sa troupe dans un dédale de sentiers qui les conduisit, après quelques minutes de marche, au pied d’une lande escarpée et déserte. À part quelques touffes d’ajoncs, l’unique végétation qui germât sur le sol ingrat de cette montagne était une herbe fine et rase comme de la mousse qui la recouvrait depuis la base jusqu’au sommet, et sur laquelle le pied avait peine à se fixer. Du reste, on n’apercevait ni un roc ni même le plus petit caillou qui pût justifier le nom de lande aux Pierres que lui avait donné Hervé. Les soldats s’arrêtèrent, hésitant à gravir cette aride pente tristement balayée par le vent de la nuit, et qui semblait, de tous les lieux du monde, le moins propre à leur prêter un abri.

— Patience, mes amis, dit le jeune homme, je vous ménage une surprise là-haut. Les soldats montèrent alors résolument par le premier chemin qui se présenta. Hervé les suivait, quand les sons d’une voix haletante qui l’appelait par son nom l’arrêtèrent soudain. — C’est votre sœur, dit Francis… — Oui, oui, cela devait être, murmura Hervé. Conduisez-les, mou ami, je vous rejoindrai bientôt. — Le jeune lieutenant s’éloigna, et, au même instant, Andrée tombait éperdue et hors d’haleine dans les bras de son frère.

— Voyons, mon enfant, voyons, dit Hervé, nous devions nous y attendre. Pas d’attendrissement, je vous en prie.

Andrée releva la tête pour répondre, mais une explosion de douleur la rejeta suffoquée et palpitante sur la poitrine du jeune homme. — Pauvre petite ! allons, un peu de courage, murmura Hervé. — Puis, dressant vers le ciel, par un geste subit de désespoir, son front contracté, tandis qu’Andrée continuait de sangloter comme si son cœur était près de se briser sur le cœur de son frère : — Ô Dieu ! dit-il, mon Dieu ! elle prie pour la paix ! Écoutez-la ! elle vous conjure pour la fin de nos discordes. Dieu de bonté, exaucez-la !