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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1014

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REVUE DES DEUX MONDES.

crois, dit Hervé en tombant épuisé, et le front ruisselant de sueur, aux pieds du lieutenant.

Le sommet de la lande formait un vaste plateau uni comme une pelouse, et dont les bords s’affaissaient doucement vers des pentes abruptes ; son aspect singulièrement sauvage n’avait d’autre borne qu’un ciel orageux où la lumière intermittente de la lune échancrait les nuages en bizarres déchirures. Vers le centre du plateau, un.large espace était semé de blocs de pierre, qui de loin ne présentaient à l’œil qu’un chaos confus pareil aux énormes éclats d’une carrière granitique ; mais, en s’approchant, on reconnaissait qu’un certain ordre mystérieux présidait à l’irrégularité de ces entasse mens. Ces pierres étaient de toutes formes et de toutes dimensions ; les unes se dressaient isolément comme des aiguilles colossales, ou s’alignaient symétriquement sur de longues lignes parallèles, comme des théories de fantômes pétrifiés dans leurs manteaux grisâtres ; d’autres étaient superposées, imitant grossièrement une table longue et étroite montée sur un pied unique ; un grand nombre reposaient horizontalement sur deux assises, par ce principe élémentaire d’architecture que les enfans mettent en pratique dans la base de leurs châteaux de cartes. Enfin, le même principe avait combiné des séries de blocs massifs et de pierres plates, de manière à former des galeries basses et couvertes qui étaient closes à l’une de leurs extrémités. Là semblait s’être arrêté, comme au point culminant de l’art, l’édificateur inconnu de ces informes monumens.

Les soldats s’étaient groupés avec curiosité autour des débris ; aucune pointe de rocher ne perçait la surface de la lande ; aucune excoriation du sol n’indiquait la place d’où avaient été tirés ces matériaux gigantesques. Il fallait donc qu’ils eussent été transportés sur cette cime du fond des vallées. Par quels moyens et dans quel but ? C’était une question contre laquelle venaient se briser la sagacité et l’expérience de Bruidoux lui-même. Toutefois un des axiomes favoris du sergent était qu’un chef militaire ne doit jamais se mettre dans le cas d’être taxé d’ignorance par ses subalternes. Aussi ne se fit-il aucun scrupule de certifier hautement à Colibri que, dans un temps assez reculé, le fils d’un certain aristocrate de géant s’était amusé à placer ces cailloux les uns sur les autres, au lieu d’aller tranquillement à l’école, comme c’était son devoir ; car, ajouta le sergent, on doit obéir à son père, quand ce père serait un ogre, et le fils de Pitt et Cobourg lui-même doit obéissance à Pitt et Cobourg, si étrange que cela puisse paraître.

Ces moralités furent interrompues par l’arrivée de Kado, qui chassait devant lui un petit cheval accablé sous une provision de vivres et de bois sec, à laquelle les soldats firent aussitôt leurs politesses. Le vieux