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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1025

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BELLAH.

guerre plus digne d’un siècle et d’une nation civilisés ? Il fallait, continua-t-il en faisant quelques pas précipités à travers la chambre, il fallait combattre, — couper, — détruire ! Est-ce donc une armée ou une ville que j’ai devant moi ? C’est un peuple. Jetez-le dans l’Océan, si vous le pouvez, et passez la charrue sur la moitié de la France ! Je ne tenterai pas, quant à moi, cette atroce folie. Si c’est là de la trahison, soit. Qu’on me soupçonne, qu’on me dénonce : peu m’importe. Je suis las aussi bien de cette guerre de sauvages où je dois périr ignominieusement un de ces matins, au coin de quelque huilier. comme un chef de bandits. Qu’on m’ôte cette épée, j’y consens ; je le demande ! Qu’on m’envoie regagner un à un tous mes grades sur de vrais champs de bataille, où l’on n’achève pas les blessés, où l’on ne mutile pas les morts !

— Tu perds ton calme, citoyen général, et tu en auras besoin cependant pour écouter ce qu’il me reste à rapprendre. Je t’ai dit qu’aucun soupçon ne s’élevait contre toi : cela est vrai ; mais on te reproche de placer ta confiance avec trop de facilité, de laisser ton amitié s’égarer sur des suspects. Je parle d’un de tes officiers, de celui à qui tu accordes la plus large part dans ton intimité, du ci-devant comte de Pelven.

— Le commandant Pelven, citoyen représentant, a fait à la république plus de sacrifices que toi et moi. En le laissant depuis deux ans dans l’humble grade qu’il occupe, on a commis une injustice criante que je ne tarderai pas à réparer.

— Hàte-toi donc, si tu ne veux pas être prévenu ; car le Bourbon, s’il n’est pas un ingrat, doit une haute récompense au pur patriote qui est allé le recevoir à son débarquement, et qui lui a fait cortège jusqu’au milieu de l’armée des brigands.

— As-tu des preuves de ce que tu avances, citoyen commissaire ?

— Voici, dit le conventionnel, tirant une lettre des plis de son portefeuille, voici ce que m’écrit un de nos agens d’Angleterre ; tu jugeras toi-même si ces renseignemens, rapprochés des faits que tu connais déjà, constituent des preuves suffisantes. Cette lettre par malheur m’est arrivée deux jours après l’événement qu’elle était destinée à parer. Écoute. « La frégate anglaise Loyally va jeter en Bretagne un Bourbon qu’on dit être le duc d’Enghien, fils de Coudé, ou le comte d’Artois : ce dernier est plus probable. Il voyage sous un déguisement de femme, à la suite de la sœur et de la fille du ci-devant Kergant, qui ont obtenu un permis de séjour par l’entremise du ci-devant Pelven, officier républicain, fort avant dans la faveur du général en chef. On compte sur la connivence de Pelven pour protéger le débarquement, qui s’effectuera un des jours de la prochaine décade sur la côte