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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1068

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Santa-Clara et la chaîne d’écueils qui rattachent ce dernier au mont Igueldo, cette rade ne présente à la mer qu’un étroit goulet. Une magnifique plage l’entoure d’un demi-cercle de sable fin, interrompu seulement par la pointe rocheuse où s’élevait, avant les dernières guerres, la chapelle de la Antigua. Cette plage, plongeant dans la mer sous une pente à peine sensible, est chaque été le rendez-vous de nombreux baigneurs, qui, de tous les points de l’Espagne, viennent chercher ici le plaisir ou la santé. Le port lui-même est placé immédiatement au pied du mont Orgullo, complètement abrité de toutes parts et couvert, même du côté de la rade, par quatre jetées qui se protègent mutuellement.

Certes, on croirait trouver toutes les conditions de sécurité dans cette rade, dans ce port, que l’art et la nature semblent avoir pris plaisir à mettre à l’abri de toute atteinte ; il n’en est rien cependant. C’est qu’ici il est des jours où les vents et les flots ont une puissance dont rien ne saurait donner une idée. J’ai vu à Saint-Sébastien ce qu’on aurait nommé partout ailleurs une effroyable tempête, ce que les gens du pays appelaient un fort coup de mer. Qu’on ne craigne pas une description. Je ne connais ni plaine ni pinceau qui puisse rendre ces déchiremens de l’atmosphère, ce vent qui pendant quarante-huit heures soufflait comme il souffla quelques instans à Paris le jour de la trombe de Monville, ces vagues énormes, tantôt balayées par l’ouragan en écume qui volaient sur la plage comme des flocons de neige, tantôt remontant en masse les talus inclinés de Santa-Clara, comme des cataractes renversées, couronnant le sommet de l’écueil à peu près aussi haut que la plate-forme de Notre-Dame, et obscurcissant l’atmosphère d’une poussière humide, qui s’élevait jusqu’au phare à une hauteur au moins égale à celle de Montmartre. De ces lames gigantesques, ce qui passait par le goulet se déployait dans la baie comme un large éventail, et la violence du flot diminuait en proportion. Pourtant, dans le port, les navires se heurtaient à se briser, et un malheureux brick, après avoir cassé ses amarres, après avoir vainement cherché un refuge derrière le Castillo, dut céder à cet effroyable remous, et fit côte au fond de la rade.

Au milieu de ce désordre des élémens, des goélands au blanc plumage, des aigles de mer aux couleurs roussâtres, se jouaient tranquillement devant ma croisée, mêlaient leurs cris au fracas de la tempête, décrivaient en l’air mille courbes capricieuses, et parfois, plongeant entre deux vagues, reparaissaient bientôt tenant au bec quelque poisson. Leur vol, rapide comme la flèche quand ils se laissaient emporter par le vent, se ralentissait quand ils faisaient face à l’ouragan ; mais ils planaient avec la même aisance dans les deux directions, sans paraître donner un coup d’aile de plus que par les plus beaux jours. Il