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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1079

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soulevées par les autres Espagnols sur l’antiquité de leur propre race. Ceux-ci s’étaient donné pour ancêtres les descendans immédiats de Noé, sans toutefois s’accorder exactement sur l’époque où ces premiers colons arrivèrent en Espagne. Mariana, Joseph Moret, Gabriel de Henao, Florian d’Ocampo, Ferreras… avaient adopté la version qu’Alfonse Tostat avait puisée dans la Leyenda pendolada, écrite en 1073, par Herman Llanes[1]. D’après eux, Thubal, fils de Japhet, serait venu directement se fixer à l’extrémité occidentale de l’Europe cent trente et un ans après le déluge, et cette souche primitive aurait, plus tard, couvert de ses colonies l’Europe, les côtes septentrionales de l’Afrique et même une portion de l’Asie. D’autres écrivains, tels que Bochart, Ponce de Léon. Joseph Pellicer. Xavier de Garma, Manuel de la Huerta, etc., admirent que les fils, de Japhet, marchant de l’est à l’ouest, avaient commencé par peupler les parties centrales de l’Europe, et n’étaient arrivés en Espagne que cinq cent trente-cinq ans après le déluge, sous la conduite de Tarsis, cousin-germain de Thubal. Ces deux versions, vivement attaquées et soutenues, partagèrent les esprits. De part et d’autre, on invoquait des passages tirés des livres saints. Les tribunaux ecclésiastiques, appelés à prononcer, prirent du moins un parti assez sage. Ils admirent que les deux opinions étaient également probables, mais que la vérité ne pouvait se trouver que dans l’une d’elles. Cette décision devint un article de foi, et jusqu’à la fin du dernier siècle il n’eût pas été prudent à un auteur espagnol de reconnaître d’autre chef de race que Thubal ou Tarsis ; l’inquisition eût fort bien pu lui demander compte de ses opinions comme d’une hérésie.

Les Basques, qui se considèrent comme les seuls représentans des anciennes populations ibériques, n’ont pas manqué d’accepter les résultats de cette controverse. Une sorte de mythologie chrétienne a remplacé chez eux les vagues traditions d’autrefois. Aïtor est devenu Noé. Il est le père des Euskaldunac, d’où il résulte que ceux-ci sont les pères de toutes les autres nations. L’Espagne, en particulier, a été peuplée directement par les compagnons de Thubal ou de Tarsis[2], dont les descendans ont couvert au moins l’Europe tout entière. La langue euskara est-elle bien réellement, comme l’affirme le vulgaire, celle que parlaient Adam et Ève dans le paradis terrestre ? Ce serait possible, car Noé a pu la recevoir par tradition, et, dans ce cas, il a dû la

  1. De l’Ibérie, ou Essai critique sur l’origine des premières populations de l’Espagne, par L.-F. Graslin, ancien consul de France à Santander.
  2. Nous retrouvons chez les auteurs basques les plus récens les deux opinions qu’ont soutenues les écrivains espagnols. Ainsi l’Abbé d’Hiarce regarde Tarsis comme le fondateur de la première colonie ibérienne, tandis que Larramendi, suivi en cela par M. Chaho, fait remonter son origine jusqu’à Thubal.