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la souveraineté, ou tout au moins le chemin du pouvoir. Veut-on être hospodar ? désire-t-on un portefeuille niinistériel ? Il est un moyen de succès presque toujours sûr : c’est d’entrer en relations amicales avec le consulat russe, qui trop souvent tient les rênes de l’administration et dispose des faveurs. Lorsque les écrivains réfléchissent à ces primes assurées à quiconque se fait le soutien de l’influence russe, ils n’ont pas toujours l’énergie de conscience nécessaire pour résister à l’attrait de si beaux avantages, si faciles à obtenir.

Il n’est pas en Orient un centre petit ou grand d’activité politique où ne se rencontrent des écrivains enrôlés sous le drapeau du protectorat et du panslavisme. Que dirai-je des panslavistes de bonne foi ? Ils ne sont pas les moins puissans : plus leur parole a l’accent de la sincérité, plus ils entraînent d’imaginations faibles et rêveuses. En se dégageant du sein de ces populations au moment où elles se réveillaient d’un sommeil séculaire, l’idée slave a pris d’abord comme la plupart des choses naissantes, un caractère indécis et vague. Elle est née sous une forme nuageuse et flottante : c’était une vaste synthèse, dont les contours n’étaient nullement accusés et dont le fond lui-même était difficile à saisir. Elle était propre à inspirer les poètes ; plusieurs, séduits par ce qu’elle avait de nouveau et de grandiose, l’embrassèrent avec ardeur : ce fut de leur part, du moins dans le premier élan de l’inspiration, un culte, une foi vive et puissante. Il suffit de rappeler le nom de Kollar pour que l’on sache à quel degré d’enthousiasme le panslavisme russe a pu entraîner un homme estimé pour sa vertu. Il ne s’est point trouvé dans les principautés du Danube d’écrivain panslaviste de la valeur du poète slovaque ; en revanche, elles ont eu la monnaie de Kollar, et, grace à cette séduction exercée sur quelques esprits par le panslavisme littéraire, cette théorie, dont le tzar tenait le premier fil, a eu dans tout l’Orient européen un retentissement prodigieux : en maintes occasions, elle a semblé être agréée par les populations elles-mêmes. C’est ainsi que le czarisme s’est creusé des chemins dans la direction de Constantinople ; c’est ainsi qu’il est parvenu à se créer un prestige au dehors comme au dedans, et qu’il paraît avoir associé les peuples à ses espérances.

Nous ne sommes pas de ceux qui doutent de l’avenir de la Russie. Dût-elle perdre les conquêtes qu’elle a faites depuis un siècle, elle aurait encore un territoire plus vaste et plus riche en matières premières qu’aucune nation de l’Europe. Elle posséderait toujours une population supérieure en nombre à telle des plus grands états de l’Occident ; elle aurait toujours à son service d’admirables soldats et tous les élémens d’une société capable du plus brillant essor d’esprit. La nation russe, avec ces dons précieux de pénétration, de sociabilité et de courage qu’elle tient du sang slave aurait encore devant elle un vaste champ