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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1139

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la franchise de cette veine comique. Les spectateurs sentaient que, dans cette légère esquisse, ils avaient affaire à un maître, et, sans donner à sa pièce plus d’importance qu’il n’y en attache lui-même, chacun convenait que, par sa manière large et sobre, vive et saisissante, l’auteur du Théâtre de Clara Gazul était appelé, s’il l’avait voulu, à de grands succès dramatiques. Hélas ! dans un temps comme celui-ci, l’expression même d’une sympathie méritée, d’une admiration bien sentie, prend involontairement la forme d’un regret. C’est encore un regret que l’en apporte, malgré soi, en allant entendre l’éminente cantatrice qui est revente, après vingt ans, nous rendre un des plus élégans et des plus mélodieux souvenirs de nos jeunes années ; seulement, pour ceux qui applaudissent aujourd’hui Mme Sontag, après l’avoir applaudie avant 1830, ce regret-là ne s’adresse pas au talent de la virtuose, qui a conservé toute sa perfection et toute sa grace : il s’adresse à ce temps évanoui, à ce monde lointain où elle nous apparut d’abord, et auquel ce talent a survécu. Mme Sontag est toujours la même : c’est toujours cette méthode exquise, cette distinction souveraine, cette finesse d’ornementation et de broderie, courant à travers la mélodie originale, mais, nous qui allons l’écouter et qui prêtons une oreille charmée à cette voix délicieuse comme à un écho des jours envolés, que nous reste-t-il de ce qui faisait alors la vie intellectuelle d’une génération toute frémissante d’ardeur et d’enthousiasme ? Qu’avons-nous fait de ces rêveries qui devaient régénérer le monde et qui n’ont su que l’égarer ? de cet art nouveau qui s’ouvrait des perspectives inconnues ? de ces chaleureuses croyances qui promettaient à la littérature, comme à la politique, de magnifiques destinées ? Le temps a fait un pas : royautés, grandeurs, poésie, travaux commencés, illusions généreuses, nobles aspirations du talent, délicates jouissances des civilisations heureuses, première explosion des célébrités naissantes, tout s’est amoindri ou effacé, et ce qu’il y a de plus fragile au monde, la voix d’une femme a duré plus long-temps que nos espérances et que nos rêves !


ARMAND DE PONTMARTIN.