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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1146

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des périls qui menaçaient son repos ; puis elle s’apaisait et semblait s’amortir pour un moment, grace aux efforts de la diplomatie. La diplomatie européenne, rendons-lui cette justice, a fait depuis trente ans des efforts heureux pour empêcher l’orage de crever en Orient ; mais elle n’a pu qu’ajourner l’éruption du mal, elle n’a pas pu le guérir. Aussi voyons-nous de temps à autre l’inquiétude renaître. Il suffit du moindre incident, de la première incartade d’un amiral ou d’un ministre plénipotentiaire pour ranimer la question d’Orient, et lui rendre toute sa gravité. C’est ce que nous voyons aujourd’hui en Grèce.

Il a plu à lord Palmerston, après avoir ordonné à l’amiral Parker d’avoir un coup de vent qui le fit entrer dans les Dardanelles, de lui prescrire d’aller se faire huissier et recors contre la marine grecque. L’amiral Parker est entré dans le Pirée, et a mis le séquestre sur tous les bâtimens grecs. Du jour au lendemain, il n’a plus été permis aux Grecs de naviguer et de commercer. Il a été dit du jour au lendemain à un peuple commerçant et navigateur, qui ne vit que par la marine et par le commerce, qu’il lui fallait mourir de faim, à moins qu’il n’aimât mieux faire une révolution et chasser son roi. Loin d’obéir à cette odieuse contrainte, le peuple grec s’est serré avec une affection patriotique autour de la royauté que voulait destituer lord Palmerston. De la violence du ministre anglais, la Grèce en a appelé à la justice de l’Angleterre et à l’indignation de l’Europe. Les deux sentimens qu’invoquait la Grèce ne lui ont pas fait défaut. La France, qui, à Athènes, au moment de l’iniquité britannique, protestait si noblement et si spontanément par la bouche de M. Thouvenel contre l’atteinte portée à l’indépendance hellénique, la France a vivement réclamé à Londres. L’Angleterre s’est émue contre lord Palmerston ; elle s’est émue, voyant qu’on faisait de la puissante marine de l’Angleterre la persécutrice acharnée et destructive de la petite marine grecque. C’est en effet ici l’histoire de la brebis du pauvre. Le prophète Nathan dit au roi David :

« Il y avait deux hommes dans une ville dont l’un était riche et l’autre était pauvre.

« Le riche avait un grand nombre de brebis et de bœufs ;

« Le pauvre n’avait reçu du tout qu’une petite brebis qu’il avait achetée et avait nourrie, qui était crue parmi ses enfans en mangeant de son pain, buvant de sa coupe et dormant dans son sein, et il la chérissait comme sa fille.

« Mais le riche prit la brebis du pauvre homme.

« David entra dans une grande indignation contre cet homme ; et dit au prophète Nathan : Vive le seigneur ! celui qui a fait cette action est digne de mort.

« Il rendra la brebis au quadruple pour en avoir agi de la sorte et pour n’avoir point épargné ce pauvre.

« Alors Nathan dit à David : C’est vous-même qui êtes cet homme ! »

Tous les journaux anglais sont en ce moment les Nathans qui disent à lord Palmerston : C’est vous qui êtes l’homme qui avez tué la brebis du pauvre ; c’est vous qui détruisez la pauvre marine grecque, vous le ministre d’un pays qui a tant et tant de vaisseaux ! Nous aimons cette malédiction universelle ; mais, si David s’est incliné et repenti sous la parole de Nathan, lord Palmerston ne parait pas disposé à la repentante. Voyez son procédé avec le gouvernement français, qui s’était empressé de se porter médiateur. Il semble ; en ce moment que lord Palmerston veuille se racheter d’avoir été injuste avec