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a blessé à mort, en Occident, le principe même de l’autorité. De là tant d’excès, de violences, d’énormités accumulées pendant des siècles, pour étayer ce pouvoir matériel dont Rome ne croyait pas pouvoir se passer pour sauvegarder l’unité de l’église, et qui néanmoins a fini, comme il devait finir, par briser en éclats cette unité prétendue ; car, on ne saurait le nier, l’explosion de la réforme, au XVIe siècle, n’a été dans son origine que la réaction du sentiment chrétien trop long-temps froissé contre l’autorité d’une église qui, sous beaucoup de rapports, ne l’était plus que de nom. Mais comme, depuis des siècles, Rome s’était soigneusement interposée entre l’église universelle et l’Occident, les chefs de la réforme, au lieu de porter leurs griefs au tribunal de l’autorité légitime et compétente, aimèrent mieux en appeler au jugement de la conscience individuelle, c’est-à-dire qu’ils se firent juges dans leur propre cause. Voilà l’écueil sur lequel la réforme du XVIe siècle est venue échouer. Telle est, n’en déplaise à la sagesse des docteurs de l’Occident, la véritable et la seule cause qui a fait dévier ce mouvement de la réforme, chrétien à son origine, pour le faire aboutir à la négation de l’autorité de l’église et, par suite, du principe même de toute autorité. Et c’est par cette brèche, que le protestantisme a ouverte pour ainsi dire à son insu, que le principe antichrétien a fait plus tard irruption dans la société de l’Occident.

Ce résultat était inévitable, car le moi humain, livré à lui-même, est antichrétien par essence. La révolte, l’usurpation du moi, ne datent pas assurément des trois derniers siècles ; mais ce qui alors était nouveau, ce qui se produisait pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, c’était de voir cette révolte, cette usurpation élevées à la dignité d’un principe, et s’exerçant à titre d’un droit essentiellement inhérent à la personnalité humaine. Depuis ces trois derniers siècles, la vie historique de l’Occident n’a donc été et n’a pu être qu’une guerre incessante, un assaut continuel livré à tout ce qu’il y avait d’élémens chrétiens dans la composition de l’ancienne société occidentale. Ce travail de démolition a été long, car, avant de pouvoir s’attaquer aux institutions, il avait fallu détruire ce qui en faisait le ciment : les croyances.

Ce qui fait de la première révolution française une date à jamais mémorable dans l’histoire du monde, c’est qu’elle a inauguré, pour ainsi dire, l’avènement de l’idée antichrétienne au gouvernement de la société politique. Que cette idée soit le caractère propre et comme l’ame elle-même de la révolution, il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner quel est son dogme essentiel, le dogme nouveau qu’elle a apporté au monde : c’est évidemment le dogme de la souveraineté du peuple. Or, qu’est-ce que la souveraineté du peuple, sinon celle du moi humain multiplié par le nombre, c’est-à-dire appuyé sur la force ? Tout ce qui