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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/150

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gnement, et, pour une faute qui n’est pas la mienne, vous me parlez de déportation !

— Mon Dieu, oui, peut-être la déportation. Le tribunal jugera, il entendra votre défenseur. Ah ! je ne vous le cache pas, vous aurez besoin d’un habile avocat ! Voilà ce que c’est, mon bon ami, que de se trouver en mauvaise compagnie. Vous avez voulu vous emmarquiser, vous encanailler de noblesse ; vous payez aujourd’hui votre entêtement.

En ce moment, un éclair sillonna la nue. Le tonnerre gronda ; une grêle furieuse mêlée d’une pluie abondante fondit sur la plaine, et vint fouetter la vitre de la portière. La conversation s’arrêta. Maître Jolibois parut tout d’un coup se plonger dans une profonde méditation. M. Levrault l’épiait d’un regard inquiet, comme s’il eût espéré lire sa destinée sur le front du dictateur. L’orage redoublait. Les chevaux avançaient péniblement dans les ornières détrempées. Une lueur de clémence passa sur le front d’Étienne Jolibois.

— Écoutez, dit-il enfin comme saisi d’une subite inspiration, malgré toutes vos fautes, malgré votre lâcheté, je sens que je vous aime encore ; mon amitié pour vous a résisté à toutes ces cruelles épreuves. Une fois que vous comparaîtrez devant la justice, je ne pourrai plus rien pour vous ; les magistrats seront obligés d’appliquer la loi. Je n’ai qu’un moyen de vous sauver…

— Quel moyen ? demanda M. Levrault d’une voix haletante.

— C’est de vous rendre la liberté, et je vous la rends ; allez, mon cher, et ne péchez plus.

En achevant ces mots, Jolibois ouvrit la portière ; sans demander son reste, M. Levrault sauta au beau milieu d’une flaque d’eau, et regagna, par une pluie battante, le château de La Rochelandier. Au bout d’une heure, trempé jusqu’aux os, crotté jusqu’à l’échine, il sonnait à la porte ; je laisse à deviner la figure de la marquise, en revoyant si tôt l’hôte maudit dont elle se croyait délivrée pour long-temps.

XX.

Cependant un travail mystérieux s’accomplissait dans le cœur de Laure et dans le cœur de Gaston. Ces deux jeunes gens n’étaient pas sortis mauvais des mains de Dieu ; l’éducation avait faussé leur nature, sans la dépraver pourtant d’une façon inguérissable. Gaston, affligé d’abord de la ruine de son beau-père et de sa femme, éprouvait maintenant un sentiment de délivrance ; la créance qu’il ne pouvait acquitter n’était-elle pas déchirée ? Laure éprouvait un sentiment pareil ; chacun des deux se trouvait dégagé. Libres désormais, rendus à leur nature première, ils s’observaient avec curiosité et s’étonnaient de découvrir mutuellement des trésors auxquels ils n’avaient jamais songé. Laure,