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C’est encore un esprit d’une netteté bien remarquable, d’une distinction bien aise que M. Vitet. Si nous n’étions à une époque où se déconcertent et se brisent les hiérarchies et les traditions de l’art, ne pourrait-on pas dire que cet écrivain si sobre, d’une mesure si parfaite, conduisant ses œuvres trop rares à un si haut point d’achèvement et de précision, est aujourd’hui un maître dans l’ancienne acception du mot, maître dans l’art d’écrire comme de juger ce qui écrit ? Hélas ! à cette idée de maître répond celle de disciple, et où seraient les disciples aujourd’hui ? Le théâtre moderne a-t-il su féconder ce large sillon que lui ouvraient, il y a vingt ans, les hommes comme M. Vitet, rompant enfin la monotonie traditionnelle de l’histoire philosophique et de la tragédie historique, et faisant circuler, dans leurs tableaux, leurs récits ou leurs dialogues, le souffle même, le mouvement, la vie de toute une époque ? Qui a su profiter de cet art, si nouveau pour notre théâtre, de ciseler, de mettre en saillie et en relief les divers personnages d’un drame, au lieu de les jeter dans ce moule uniforme où se ressemblent tous les caractères et tous les temps ? C’est encore à ce moment si riche d’espérances, d’essais et d’aventures, qu’il faut remonter pour trouver des noms et des œuvres qui ne prétendaient alors qu’indiquer la route, et qui se trouvent aujourd’hui avoir été seuls à la parcourir. On n’a pas oublié les Scènes de la Ligue que publia M. Vitet vers 1828, et où s’alliaient, avec tant de bonheur, les mérites du drame et ceux de l’histoire. Il vient de donner à ce beau travail, non pas une suite, mais plutôt une introduction, puisque le sujet des États d’Orléans précède d’environ vingt années la journée des barricades et les états de Blois. Nous n’avons pas à apprendre aux lecteurs de la Revue tout ce que les États d’Orléans renferment de qualités éminentes ; nous n’avons pas à leur faire apprécier la supériorité de cette méthode qui arrive à la vérité historique par la peinture fidèle des personnages, faisant ainsi de l’étude même du cœur humain l’instrument de ses déductions et de ses découvertes. Marie Stuart, Catherine, François de Guise, Antoine de Bourbon, le prince de Condé, le cardinal de Lorraine, vivent et respirent dans ces pages, commentant, expliquant par leurs actes, leur langage, le jeu de leurs passions, de leurs caractères, les événemens auxquels ils concourent. Tandis que les diverses écoles ou coteries littéraires, puisant tour à tour dans le moyen-âge et dans l’antiquité, recourant successivement à l’archaïsme et au gothique, n’ont su se servir de la couleur locale que pour cacher la faiblesse ou la puérilité de leurs œuvres, et n’ont employé le justaucorps ou la tunique, le pourpoint ou la chlamyde que pour revêtir un mannequin, M. Vitet, au contraire, fait poser l’homme devant lui, qu’il s’appelle Guise ou Condé, Bourbon ou Montmorency, et chaque parole ou chaque action de cet homme l’aide à nous révéler le sens des événemens, la logique des faits, la vraie couleur du temps, les vrais enseignemens de l’histoire.

Nous le répétons, quelles que soient nos inquiétudes et nos alarmes, visibles ou latentes, immédiates ou ajournées, il est heureux et honorable pour ce temps-ci que des œuvres de cette valeur puissent s’y produire, et y rencontrent encore des lecteurs attentifs, des sympathies sérieuses. M. Vitet, dans sa préface, nous dit, avec une modération mêlée de quelque malice, qu’après février il éprouva le besoin de détourner les yeux de notre temps, de chercher en arrière d’autres pensées, le commerce d’autres hommes, et que c’est de ce travail