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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/179

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d’impôts directs et indirects, et que, de tous les systèmes que l’on tenterait de lui substituer, le plus dangereux et le plus impraticable serait celui de l’impôt unique. En effet, il n’est pas besoin d’être un profond financier pour comprendre que le système de l’impôt unique appartient à l’enfance des sociétés, et qu’il ne saurait convenir aux états modernes. Le propre des sociétés modernes est de demander beaucoup à leurs gouvernemens, et ceux-ci, à leur tour, sont bien forcés de demander à leurs administrés beaucoup d’argent. Or, si cet argent était demandé en bloc, sous la forme d’une contribution unique, il est évident que ce serait une exigence intolérable. La cote du percepteur soulèverait partout mille résistances. Pour aborder plus sûrement le contribuable, qu’a-t-on fait ? On a imaginé d’établir, au lieu d’une seule et même taxe, plusieurs taxes différentes, qui, s’appliquant à la propriété foncière, à l’industrie, au capital, à la fortune mobilière, se confondant pour la plupart avec la valeur vénale des choses, et n’ayant toutes séparément qu’un poids modéré, viennent s’imposer au contribuable pour ainsi dire à son insu, ou ne le frappent que d’une manière insensible. Tel est le système qui résulte du mélange habile de l’impôt direct avec les impôts de consommation, et qui consiste, pour tout dire, à puiser un peu, et le plus souvent possible, dans le plus grand nombre de bourses, en prenant soin de cacher autant qu’on le peut la main du fisc. Ce système n’a sans doute pas la brutale simplicité ni la radicale franchise de l’impôt unique ; mais il a du moins le mérite d’avoir fait prospérer la France pendant trente ans.

La montagne, on le pense bien, avait toute autre chose à faire, dans cette discussion, que de répondre aux preuves authentiques, aux chiffres péremptoires des documens officiels. Pour elle, l’intérêt du débat n’était point dans l’examen sérieux d’une question économique. Que l’impôt des boissons fût proportionnel ou non, qu’il fût bien ou mal réparti, qu’il fût ou non un fardeau trop lourd pour telle ou telle classe de contribuables, qu’il y eût ou non des changemens à y faire, soit dans les tarifs, soit dans le mode de perception : ce n’était pas là, au fond, ce qui importait le plus aux représentans de l’idée de février. Pour ceux-là, sachons-le bien, la discussion de l’impôt des boissons n’était qu’une nouvelle forme d’attaque contre la société. Supposez, en effet, que l’impôt des boissons eût été supprimé, qu’arrivait-il ? Tout notre édifice financier s’écroulait. Après la taxe des boissons, il eût fallu sacrifier tous les octrois des villes, puis toutes les contributions indirectes ; pas une seule taxe de consommation ne serait restée inscrite au budget des recettes. C’était un vide de plusieurs centaines de millions qu’il eût fallu combler ; mais comment ? Aurait-on pris le système de la taxe unique sur le capital ou sur le revenu ? C’était un bouleversement dans le régime économique de la France. Aurait-on supprimé, comme le voudrait M. Bastiat, tout ou partie du budget des dépenses ? C’était la décentralisation à l’infini, la destitution du gouvernement, c’est-à-dire une révolution nouvelle. Serait-on resté les bras croisés devant une dette flottante de 600 millions, un découvert de 534 millions pour 1849, et un déficit probable de 4 à 500 millions pour 1850 ? C’était marcher indubitablement à la banqueroute, avec la perspective plus ou moins prochaine des assignats sous forme de bons hypothécaires, et des réquisitions sous forme de dons patriotiques. Assurément, nous ne croyons pas calomnier les intentions de la mon-