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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/198

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REVUE DES DEUX MONDES.

Il a trouvé que, sur une population de quarante-deux mille six cent douze catholiques et de sept mille six cent vingt-sept protestans, le nombre des fonctionnaires protestans est de quatre-vingt-douze, tandis que celui des fonctionnaires catholiques est de onze seulement. Dans une séance suivante, l’objection tirée de l’incapacité des catholiques a été relevée par un autre député de la même communion ; M. Borret. Il a hautement contesté le fait, déclarant d’ailleurs que, s’il eût été vrai, il n’eût été que la conséquence même de l’exclusivisme pratiqué à l’égard des catholiques. Il a osé rappeler qu’il y a vingt ans les Belges se sont plaints des mêmes procédés, qu’on leur a de même répondu par le reproche d’incapacité : « Et qu’avons-nous vu depuis lors ? a-t-il ajouté. La Belgique régénérée a prouvé ce qu’il en est et ce qu’il en fut toujours de cette incapacité prétendue qu’on lui alléguait ; et aujourd’hui, cette même Belgique, l’on est obligé de la prendre pour modèle. » Tels sont, des deux parts, les termes de la polémique soulevée récemment entre les protestans et les catholiques de la Néerlande. Les journaux s’en sont emparés les catholiques ont eux-mêmes fondé un journal en langue française, le Publiciste, pour assurer plus d’écho à leurs griefs.

En d’autres temps, nous eussions peut-être pris plaisir au spectacle de ces luttes dont notre pays donnait lui-même l’exemple, et qui semblaient inoffensives. La situation est bien changée pour tous les états, grands ou petits, par les événemens qui ont ébranlé les vieilles sociétés européennes. Dès le lendemain de notre révolution, l’on a senti la nécessité d’un accord entre toutes les forces qui peuvent servir d’appui à la morale publique. Les philosophes ont dû mettre de côté leurs préventions contre l’église ; les catholiques ont oublié ou ajourné leurs rancunes ; les uns et les autres se sont appliqués à rechercher ce qui pouvait les rapprocher en jetant un voile sur ce qui les avait jusque-là divisés. La Hollande, il est vrai, n’a pas ressenti les secousses qui ont ébranlé notre société sur sa base. Cependant cet heureux pays n’est pas assez séparé du reste du monde, il n’est pas assez éloigné de l’Allemagne pour que le contrecoup des doctrines perverses qui agitent une partie de l’Europe ne puisse se faire ressentir un jour aux embouchures du Rhin. Alors la Hollande, comprenant tout le prix des croyances fortes et des convictions religieuses, pourrait regretter de les avoir perdues dans de stériles débats. Le catholicisme et le protestantisme bien plus encore que le catholicisme et la philosophie rationaliste ont intérêt à s’unir fraternellement et à se liguer contre les envahissemens du matérialisme contemporain. Que les esprits clairvoyans et modérés interviennent donc entre les deux partis avant que le débat ne s’envenime, afin de leur signaler vivement cette grande communauté de devoirs qu’un commun danger impose aux deux églises. En définitive, le catholicisme et le protestantisme, en Hollande comme ailleurs, n’ont rien à gagner et beaucoup à perdre à se combattre. Nous souhaitons donc de bon cœur que la Hollande échappe à ces discussions peu profitables en temps ordinaire et périlleuses dans les crises révolutionnaires où la civilisation est aujourd’hui engagée.



V. de Mars.