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long-temps attendre. Il arrive souvent qu’après avoir reçu au travers du corps une arquebusade, comme disait Brantôme, on peut, pendant plusieurs jours, converser librement avec qui vous visite de toutes choses gaies ou sérieuses. On est alors dans une assez agréable situation. On sent dans une bonne mesure l’aiguillon de la douleur qui ne manque point d’un certain charme. On ne sait point si on reprendra jamais part à tout le vain et insipide travail de cette vie, ce qui donne aux pensées une incertitude pleine de douceur. On a en même temps une légère agitation de corps et une grande sérénité d’esprit qui composent, je crois, l’état le plus approchant du bonheur. Vibraye, qu’Élisabeth soignait ardemment, eut plusieurs jours qui furent certainement les plus heureux de sa vie. L’enthousiaste Écossaise lui faisait raconter dans tous ses détails la suprême campagne de la Vendée, et sentait bouillonner à ce récit tout ce qu’elle avait de sang jacobite dans les veines. Ses yeux resplendissaient de lueurs héroïques quand il lui disait comment une poignée d’hommes armés de bâtons et de fusils rouillés engagèrent résolûment une guerre avec toute une armée, toute une nation, tout un siècle, et de belles larmes, pures, sacrées, idéales comme des larmes d’ange, tombaient silencieusement le long de ses joues, quand il lui montrait cette pauvre chevalerie, semblable à celle que railla et pleura en même temps Cervantes, fracassée, à ses premiers débuts, par les réalités implacables auxquelles s’était attaquée sa glorieuse et inutile valeur.

— En vérité, répétait souvent Robert, quand certains regards de brûlante admiration portaient le trouble, l’enthousiasme et la joie au fond de son cœur, en vérité, quand je vois cette sympathie bienfaisante, cette précieuse émotion, je suis honteux du peu que j’ai fait ; je rougis de cette misérable blessure ; cent batailles et vingt coups de feu me paraîtraient payer trop peu encore de pareilles faveurs. — Et on voyait quelle expression sincère de sa pensée étaient ces ardentes paroles.

Il avait vingt-trois ans, une ame prompte aux mouvemens violens et soudains ; la vie lui faisait cette grace qu’elle nous fait si rarement, de revêtir ses parures les plus romanesques ; il aima avec illusion, avec emportement, avec ivresse, enfin avec tout ce qui compose l’amour. Rien n’était plus simple que ce qui se passait dans son cœur ; mais rien n’était plus compliqué, plus mystérieux, plus rempli de lumière décevante et de tristes ténèbres que le drame dont un autre cœur était le théâtre. Ce pauvre Robert-le-Diable, comme on l’appelait, qui avait brisé des bouteilles et tué des hommes, qui connaissait la double ivresse de l’orgie et du combat, n’était qu’une naïve créature sans défense et sans détour près de cette femme qui n’avait jamais vu tomber un combattant ni un buveur, mais dont les pas avaient erré à