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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/227

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heureux de quelque fossile, de quelque mollusque, de quelque algue enlevés aux rochers du rivage ou recueillis sur le sable. C’est que M. Brongniart appartenait à une génération qui s’en va chaque jour. Toujours il aima la science pour elle-même, sous toutes ses formes, dans toutes ses manifestations ; il l’aima surtout dans ces travailleurs sérieux en qui tant d’autres naturalistes ne voient que des ennemis qu’il faut à tout prix décourager et écraser, s’il est possible.

Huit jours après j’étais à Bayonne et j’admirais l’aspect de cette ville. Partout ailleurs j’avais trouvé une sorte de séparation entre le port et le reste du paysage. Ici la campagne et la mer semblent se rapprocher et se confondre. En amont, l’Adour, à peine plus large que la Seine au pont des Arts, serpente au pied de hautes collines. En aval, des dunes chargées de pins semblent lui barrer le passage. Dans l’intérieur de la ville, les arbres des promenades et des chantiers arrivent jusque sur ses bords. Partout la coque noire des navires, leur mâture élancée, leurs voiles blanches ou rougeâtres se détachent sur un fond de verdure : on dirait un lac de l’intérieur ; mais l’Océan révèle son voisinage par la marée. Deux fois par jour le flot repousse les eaux du fleuve, renverse la direction du courant et abaisse ou élève le pont de bateaux qui réunit Bayonne à ses faubourgs.

L’Adour présente un phénomène assez rare dans l’histoire de nos fleuves. À plusieurs reprises, son embouchure a changé de place. Les habitans du pays assurent qu’il se jetait autrefois dans la mer entre Biarritz et Bidar, au sud de l’embouchure actuelle ; mais l’examen des localités ne confirme guère cette tradition. En revanche, il est positif qu’à diverses époques le fleuve a fait irruption vers le nord. En 1360, entre autres, la même tempête qui, sur les côtes de Normandie, détruisit la flotte d’Édouard III combla le lit de l’Adour. Bayonne et les campagnes voisines furent inondées. Moissons, bestiaux, marchandises, tout périt sous les flots. Enfin les eaux trouvèrent une issue du côté de Cap-Breton, et le fleuve, se creusant un nouveau lit, alla se jeter dans la mer au Vieux-Boucaut, à huit lieues environ du côté du nord. Pendant deux siècles, l’Adour suivit cette direction. Vers 1579, Louis de Foix tenta de le contraindre à rentrer dans son ancien lit, et le succès couronna ses efforts. Comme par le passé, les navires purent arriver librement à Bayonne ; mais bientôt l’on eut à redouter de nouveaux désastres. Sous l’action continue des lames du nord-ouest, la passe, d’abord assez directe, s’inclinait peu à peu vers le sud, le lit du fleuve s’ensablait. En 1720, le chenal était devenu presque impraticable. Alors on encaissa la rivière. Plus tard, de nouveaux ouvrages vinrent, à diverses reprises, s’ajouter aux belles digues de Touros. Cependant le problème est encore loin d’être résolu, et la barre de l’Adour est restée un passage presque toujours difficile, souvent impraticable, malgré la présence