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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/231

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falaise s’est écroulée, des sables venus du large ont recouvert ces débris et obstrué l’entrée de la grotte. Aujourd’hui, le voyageur surpris par la marée et enfermé dans la Chambre d’amour en serait quitte pour être pendant quelques heures emprisonné en plein air ; tout au plus, si la mer était grosse, serait-il forcé de chercher un refuge au sommet du monticule qui recouvre le tombeau des deux amans.

Pour le naturaliste plus encore que pour le poète, un intérêt très vif s’attache à la Chambre d’amour. L’ondulation du terrain qui l’entoure marque l’extrême frontière de la chaîne des Pyrénées. À quelques pas de cette petite baie, les falaises s’abaissent pour ne plus se relever, et leurs dernières roches plongent sous la mer de sable qui s’étend jusqu’à la Gironde, et transporte au milieu de nos plus riches provinces la réalisation en petit d’un désert africain. Biarritz et son territoire, ainsi placés sur la limite d’une de ces grandes formations qui donnent à notre globe son relief actuel, présentent de curieux problèmes dont la solution partage encore les géologues. Nous allons essayer d’en donner une idée, en prenant surtout pour guides la magnifique carte et les mémoires spéciaux de MM. Dufrenoy et Élie de Beaumont[1].

  1. Dès 1811, M. Brochant de Villiers, professeur de minéralogie et de géologie à l’École des mines, avait proposé de dresser une carte géologique de la France. L’exécution de ce projet, long-temps ajournée, fut reprise en 1822. MM. Dufrenoy et Élie de Beaumont, alors jeunes ingénieurs des mines, furent chargés de ce travail et se partagèrent les explorations. Pendant dix-neuf ans, ils se consacrèrent à ce grand ouvrage, et attachèrent ainsi leur nom à un des plus beaux monumens de la science moderne. En 1841, la Carte géologique de la France parut en six feuilles formant un carré de deux mètres de côté. Un texte explicatif avec plans, coupes et vues, accompagne cette publication si importante par elle-même et par les innombrables travaux auxquels elle a servi de point de départ. Aujourd’hui il est impossible de s’occuper de la géologie de notre pays sans connaître la carte de MM. Dufrenoy et Élie de Beaumont, et pourtant nul ne peut, sans des protections spéciales, se procurer cet élément indispensable de travail. Le ministre de l’intérieur s’est réservé le monopole absolu de cette œuvre toute d’utilité publique. Quelques princes, quelques députés, quelques diplomates français ou étrangers, tous gens qui s’inquiètent assez peu de science, ont reçu en pur don la carte géologique de France. Un savant français ne peut se la procurer même à prix d’argent. Nos établissemens d’enseignement supérieur sont dans le même cas. Il y a quelques années, le ministère de l’instruction publique a vainement demandé qu’il en fût remis un exemplaire à chaque faculté des sciences ; on a mieux aimé les laisser moisir dans une chambre du ministère de l’intérieur. Nous n’hésitons pas à le dire, il y a là un abus coupable et dont on devrait demander un compte sévère. Nous ne comprenons pas qu’un ministre, qu’un chef de division ou de bureau puissent ainsi confisquer et tenir sous clé les fruits de travaux immenses accomplis aux frais du pays. En pareil cas, le devoir du gouvernement est d’imiter la conduite si intelligente et si libérale du ministère de la marine. L’Atlas hydrographique des côtes de France, auquel M. Beautemps-Beaupré a travaillé pendant cinquante ans, a été mis en vente, et cela au plus bas prix possible. À mesure que paraissait une des immenses cartes qui le composent, elle était déposée chez le vendeur et livrée au public pour deux francs la feuille entière, pour un franc la demi-feuille. Ne devrait-il pas en être ainsi à plus forte raison pour une carte dont la vulgarisation intéresse non-seulement la science, mais encore l’agriculture et toutes les industries dont le développement se rattache à la connaissance géologique du sol ? On essaierait en vain de se justifier en disant que la petite carte réduite peut remplacer la grande ; car, encore une fois, le pays a payé pour faire exécuter cette dernière, et il a par conséquent le droit d’en jouir.