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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/248

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les obstacles, en un mot, agissait comme si elle était le siège d’une vision très nette et dirigée par une volonté parfaitement éclairée. Cependant, malgré bien des heures employées à ces observations, je ne pus découvrir les cristallins, les rétines : ma conviction sur une question aussi délicate ne pourrait être entière.

Enfin, parmi les, corallines, espèce de petites algues qui couvre les écueils de ses touffes serrées, comme celles des mousses de nos rochers, je trouvai le polyophthalme. Ici le doute n’était plus permis ; la fable d’Argus se réalisait pour moi avec une incontestable évidence. Qu’on se figure un petit ver à peu près cylindrique, long de près d’un pouce, d’une couleur jaune brillante, armé de deux rangs de soies, dont la longueur augmente d’avant en arrière, et l’on aura une idée de l’aspect que présente le polyophthalme à l’état de repos. Dans le sable, où il passe sa vie, cet animal se meut avec une incroyable rapidité, grace aux contractions générales de son corps et aux soies qui lui servent de pieds ; mais veut-il nager tranquillement dans le liquide ou seulement mettre à portée de sa bouche les petits animaux dont il se nourrit, aussitôt deux larges appareils ciliés, placés sur les côtés de la tête, se développent et agissent comme les deux roues d’un bateau à vapeur. Pour se diriger dans sa marche lente ou rapide, le polyophthalme possède à la tête trois yeux pourvus chacun de deux ou de trois cristallins volumineux et très faciles à reconnaître. En outre, à chacun des anneaux du corps, on aperçoit de chaque côté un point rouge assez semblable à ceux de certains amphicoriens. Par la dissection, on s’assure que chacun de ces points reçoit un gros nerf partant du ganglion ou centre nerveux ventral qui lui correspond. En s’aidant du microscope, on voit ce nerf pénétrer dans une masse de pigment qui renferme un cristallin sphérique ; on reconnaît que les tégumens, placés en face, ont réprouvé une modification destinée à leur donner une transparence plus complète et plus égale. En un mot, on ne peut plus douter que ces points rouges, placés sur les côtés, tout le long du corps, ne soient de véritables yeux, recevant leurs nerfs optiques des centres nerveux abdominaux et sans aucune relation directe avec le cerveau.

Ce résultat, tout étrange qu’il puisse paraître, n’est pas le seul du même genre qu’ait enregistré la science moderne. Déjà les mollusques nous fournissent un fait pareil. Nos lecteurs connaissent tous le peigne vulgairement appelé coquille de saint Jacques ou coquille du pèlerin. Eh bien ! l’animal qui habite ce coquillage, assez semblable à l’huître, possède, comme celle-ci, un manteau ou lame mince de tissu vivant qui tapisse l’intérieur de son habitation. Destinés par la nature à être presque aussi vagabonds que l’huître est sédentaire, les peignes ont des organes pour la vision, et ces organes ne sont pas placés sur la tête, ne sont pas en rapport avec le cerveau, mais occupent, les bords