Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seul but, c’est imiter le vaisseau qui obéit à une intelligence et surmonte par elle tous les efforts des flots.

Le chaudronnier nous raconta plusieurs de ses tentatives, dont quelques-unes ; suivant lui, avaient failli réussir. Il nous parla de ses projets, de ses espérances. En nous les détaillant, son œil sombre avait des scintillemens, ses lèvres souriaient d’une joie anticipée, un frémissement parcourait ses doigts, comme s’ils eussent déjà senti le contact de l’or.

— Faut savoir attendre l’occasion ; ajouta-t-il en ayant l’air de penser haut ; tout à l’heure encore, j’ai eu un signe

— Quand vous avez couru vers la ruelle ?

Il fit un mouvement.

— Vous étiez là ? s’écria-t-il. Alors vous savez s’il a pris par la petite sente avant de disparaître ?

— Qui cela ?

— Vous n’avez donc rien vu ?

— Rien que votre empressement à poursuivre un objet invisible.

Il se mordit les lèvres et quitta brusquement la table. J’allais lui demander l’explication de ses paroles ; l’entrée de l’aubergiste nous interrompit. L’heure que nous avions indiquée pour notre départ était arrivée, et l’aubergiste venait nous demander s’il fallait brider les chevaux. Cette apparition acheva de rompre le charme qui nous avait gagné la confiance de Claude, car il en est des cœurs fermés comme des trésors dont il venait de nous raconter l’histoire ; pour y lire, il faut le hasard de l’heure et de la rencontre ; ouverts un instant, ils se referment bientôt tout à coup et sans retour. Le chaudronnier parut se réveiller : il se leva en nous jetant un regard inquiet, comme un homme qui s’aperçoit qu’il a rêvé tout haut. Nous essayâmes de le retenir, mais il nous déclara qu’il s’était déjà trop attardé, et voulait arriver avant la nuit à un hameau qu’il nous désigna. L’avoué, qui devinait mon désir de prolonger l’entretien, prétexta quelques ruines à visiter de ce côté, et décida que nous prendrions la traverse avec le chaudronnier. Celui-ci ne put faire aucune objection, mais il fut aisé de voir que notre compagnie l’embarrassait. Il revint à sa réserve défiante et reprit le ton bref de notre première entrevue.

La route que nous suivions n’était tracée que par de profondes ornières indiquant la direction des villages qu’elle desservait. Elle traversait tantôt des terres cultivées, tantôt des friches, bordées çà et là par un vieux orme ou quelques touffes de houx. De temps en temps, nous apercevions dans les champs des femmes occupées aux semailles ; derrière elles volaient des nuées d’oiseaux cherchant la pâture et que chassait la herse des laboureurs. Tous s’arrêtaient pour nous voir